Le film de 2019. Vu en salles pour soutenir le cinéma indépendant. Au risque de l'anglicisme, ce film a vraiment frappé, tel un missile, très près de la maison. Et comme a dit Paul Joseph Watson, pourquoi le film est si bien? Because all the right persons hated it! C'est du niveau de Seul contre Tous de Gaspar Noé. Moins roublard et moins alambiqué que Fight Club.
Ce qui est triste en un sens c'est que les deux histoires de ces deux films sont d'une grande banalité en fait : ils racontent dans un cas l'histoire d'un boucher chevalin qui se retrouve au chômage à cause d'une crise et sort d'un séjour en prison. Dans Joker, c'est l'histoire d'un garçon un peu difforme qui grandit seul avec sa mère malade, qu'il aide de tout son amour. Mais les autres enfants grandis sans tous ces soucis ne lui pardonnent pas sa différence (méritocratie inversée).
Ces histoires d'échec et d'exclusion arrivent chaque jour. Mais un réalisateur qui trouve l'argent pour monter autre chose qu'une success story, un film porno ou l'échec story d'une minorité validée, c'est tellement inouï qu'on a tout de suite l'impression d'être devant un chef d'oeuvre.
Mais là il faudrait distinguer avec le "cinéma social" d'un Ken Loach ou Abdelatif Kechiche (tous deux capables de grands films, comme L'Esquive pour le second). On pourrait reconnaître que dans les festivals de cinéma de gauche ("Images Mouvementées"...) il y a un micro-marché pour les documentaires misérabilistes. Ou pour les social feel-good movies.
On pourra même dire qu'un social feel good movie, où les opprimés s'en sortent en s'organisant et en se réconciliant avec l'oppresseur, est plus constructif qu'un "Joker".
Mais il devrait aussi y avoir une place pour les films comme Joker, Seul contre Tous ou Le libre-arbitre (Der Freie Wille). En effet les films de Ken Loach ou à la "Ressources Humaines" tendent à être déprimants, même quand ils finissent bien. Souvent car le scénariste n'a pas vécu lui-même ce qu'il raconte. En particulier, la problématique de la colère est évacuée, en tout cas minorée.
Dans Joker, le thème de la colère crève l'écran. Une histoire banale, d'un opprimé dont on ne parle jamais (il est blanc, homme, hétéro...). Le monde entier qui lui crache à la gueule, avec bonne conscience. Et enfin la vengeance, jouissive pour le spectateur. Des répliques font mouche, comme quand la télé style Yann Barthès invite le Joker pour raconter sa vie, mais juste pour se moquer de lui, après avoir vu qu'il trendait sur YouTube (à ses dépens). Mais le Joker n'est pas dupe de ce "dîner de cons". "You get what you fucking deserved" est une réplique qu'on oublie pas, adressée à un clone de Yann Barthès (une autre figure, plus duplice, du Joker).
Ce qui a dû aussi résonner chez beaucoup de gens c'est l'ambiguïté chez le personnage entre la soumission et la vengeance. Il voudrait se soumettre mais finit par ne plus y arriver. Il a des tocs (le rire nerveux), un "syndrome de Tourette", dirait-on en termes psy. Il voudrait s'attendrir sur les petits bobos des privilégiés, ne serait-ce que pour se faire aimer d'eux, mais il n'y arrive pas, ses tocs le trahissent. C'est alors son licenciement qui déclenche tout.
Ce qui est incroyable dans ce film, c'est que les pauvres sont vus comme les gentils, et les banquiers d'affaires sont vus comme les méchants (ils tabassent des clodos pour le plaisir).
C'est presque le monde à l'endroit.
C'est si rare dans le cinéma américain et international, toujours produit par les riches pour endoctriner et culpabiliser les pauvres, que c'en est extraordinaire.
Le film n'est pas extraordinaire car il aurait doublé le record du budget de Titanic ou d'Avatar. Le film est extraordinaire car il dit que le roi est nu. Combien de Jokers parmi les hommes seuls, avinés, blancs, qu'on voit traîner dans nos rues et dormir dehors? Combien dans nos séries et dans nos films, qui ne soient pas représentés en méchants, ou en losers, en soumis ?