[Critique spoilant le film]
Après l'immense succès à la fois public et critique de Joker premier du nom, récompensé on le rappelle du Lion d'Or à la Mostra de Venise en 2019 et de deux Oscars (dont une multitude de nominations), avec un carton plein au box office international (plus d'un milliard de dollars de recettes alors que le film est destiné à un public adulte uniquement), l'annonce d'un deuxième volet avait de quoi susciter de grosses attentes autant que de craintes. Le premier film se suffisant largement à lui-même et ayant beaucoup marqué les esprits (en positif principalement mais également en négatif, n'ayant pu échapper à quelques polémiques sur son impact dans le monde réel), tenter de transformer l'essai pouvait s'avérer très risqué. Même si cette suite directe va probablement amener encore beaucoup de monde en salles.
Quand le réalisateur Todd Phillips a par la suite précisé que Joker : Folie à deux serait en réalité une comédie musicale et que Lady Gaga avait été choisie pour y incarner Harley Quinn, les craintes initiales de votre humble serviteur, immense fan du premier volet, ont peu à peu laissé place à la curiosité puis à l'excitation. Qu'on soit client ou non du genre, on ne peut que saluer la volonté de se distancer d'une suite classique et sans saveur pour proposer quelque chose de novateur, tout en collant tout de même à l'esprit du personnage.
Malheureusement, le principal problème du film malgré cet intriguant enrobage, est qu'il laisse justement peu de place à l'innovation et à la prise de risque, et que sans être mauvais, il pâtit beaucoup de sa comparaison avec le premier volet, volet qu'il cite abondamment comme pour faire plaisir aux fans ou pour se raccrocher à l'ancienne gloire qu'il se sait incapable d'atteindre par lui-même.
Joker : Folie à deux est donc l'antithèse de la suite révolutionnaire malgré ses belles promesses et navigue pendant 2h20 dans sa zone de confort. Très balisé, il surfe sans cesse sur les éléments qui ont fait le succès du Joker de 2019 (les mimiques, les gimmicks et le surjeu de Joaquin Phoenix, les nombreux flashbacks ou références au passé, le retour des personnages du premier volet encore vivants, certains décors iconiques du premier film comme les fameux escaliers) tout en ayant lui-même très peu de nouvelles choses à raconter. L'idée de suivre le procès du Joker suite aux crimes qu'il a commis dans le premier film est sans doute bonne, mais elle ne permet pas de creuser davantage la psychologie du personnage principal car tout avait déjà été montré avec brio il y a 5 ans. Pire, on a l'impression que Todd Phillips se perd entre les deux facettes du personnage (Arthur Fleck et Joker) au point de le faire sans cesse osciller entre les deux tout au long du film, là où le premier film faisait vraiment évoluer le personnage du médiocre Arthur Fleck vers le charismatique et très dangereux Joker dans un modèle de descente aux enfers.
Todd Phillips s'auto-cite régulièrement en tentant d'imiter certains moments majeurs du précédent film : on pense à l'interview d'Arthur Fleck en prison par un journaliste de renom qui fait craindre un nouveau pétage de plomb du Joker similaire à celui du plateau télé du premier film (la scène est tout de même très réussie, soit dit en passant), on pense au rapt du Joker par des fans à la fin de ce second volet mais qui finit cette fois-ci en pétard mouillé, on pense à l'utilisation récurrente des blagues dans le film, aux baisers forcés du Joker à des personnages lambda, entre autres. Tandis que le cinéaste se raccroche à ce qu'il sait faire de mieux, c'est à dire mettre en valeur et iconiser son personnage principal dans des plans mémorables et visuellement très réussis (on ne peut lui enlever ceci), le scénario, lui, patine et n'avance guère vite, ce qui rend le temps long pour ce qu'il y a à raconter.
L'apport de la présence d'Harley Quinn est lui aussi limité, dans le sens où, en premier lieu, les plus belles séquences d'amour entre les deux anti-héros sont des séquences chantées et dansées, mais imaginées par Arthur Fleck, même si le rapprochement entre eux a bel et bien lieu dans la réalité. Cela rend ces scènes, bien que très jolies, assez superflues ; elles servent surtout de moments de respiration au film, qui pour le coup, est bien séquencé et ne souffre pas de problèmes de montage. Harley Quinn est d'ailleurs bien plus proche du side-kick que l'équivalent féminin du Joker. Elle est moins présente que prévu et surtout là pour les moments musicaux. Son background est très peu travaillé et son personnage évolue peu à travers le film : elle est avant tout là pour pervertir le Joker et le faire basculer du côté obscur, mais ses motivations restent floues.
Néanmoins, le film est très loin d'être une catastrophe industrielle : il brille par sa direction artistique, par sa bande originale très similaire à celle du premier, et bien que trop inégal dans l'ensemble, il réussit à nous faire vivre régulièrement de belles séquences. L'une des plus marquantes est celle du témoignage de Gary Puddles, le nain aperçu dans le Joker de 2019 et témoin direct du meurtre de son collègue, au procès, et la réponse du Joker qui s'ensuit, se défendant lui-même après avoir licencié son avocate. Le contraste entre les attitudes des deux personnages est alors particulièrement saisissant et la tension y atteint son paroxysme. Les rôles des gardiens de prison, dont Brendan Gleeson qui incarne l'un d'entre eux, et leurs relations aux prisonniers, sont aussi l'un des points positifs du film.
Dommage que le film souffle beaucoup trop le chaud et le froid et qu'il ne propose pas de vraie progression dramatique et donc de grosse montée en tension comme avait su si bien le faire le premier volet pour nous emporter totalement et nous convaincre de nouveau. Joker : Folie à deux reste néanmoins sympathique et à voir. D'autant que, comme le dernier plan le suggère, il a la sage idée d'en rester là et de ne pas poursuivre sa voie vers un troisième opus qui, pour le coup, lui, n'aurait absolument plus rien à raconter.