Todd Phillips avait créé la surprise en 2019, en sortant du registre de la comédie adipeuse des Starsky & Hutch et autres Very Bad Trip indigents qui avaient fait sa gloire.
En effet, bien peu d'entre nous, le masqué en tête, aurait osé miser un seul centime sur son interprétation du Joker. Tout avait été anticipé, sauf le succès, accompagné bien sûr, car cela est toujours suspect, de son lot de polémiques stériles, de détracteurs, voire de remises en cause du sens supposé profond de l'oeuvre, qui en disent finalement bien plus sur leurs auteurs.
Le succès de Joker, en 2019, avait déjà tout de l'impasse, dès lors qu'il était impossible de lui faire raccrocher les wagons d'un DC Extended Universe qui avait été placé sous respirateur artificiel. Tandis que l'hypothèse d'une suite, souvenez-vous, avait d'abord été écartée, puis finalement envisagée, Warner comprenant qu'elle pouvait peut être rééditer l'exploit.
Une suite en forme d'illusion, donc, puisqu'elle sera immédiatement confrontée à son grand frère, sans jamais pouvoir dupliquer l'effet de surprise de la nouvelle formule du comic book movie qui était alors proposée.
D'autant plus que le plus grand nombre aura bien eu le temps de se monter le bourrichon trois années durant et de nourrir des attentes démesurées.
Vous ne lirez donc inévitablement, en guise d'avis sur Sens Critique, que déception et rejet de cette Folie à Deux. Alors même qu'elle continue d'écarter un peu plus encore les codes du comic book movie tels qu'envisagés par Marvel. Alors même qu'elle ne constitue que la suite logique de Joker, devenu la nouvelle icône de la contestation et du malaise d'une société typée 80's aux échos terriblement actuels dans le regard qu'elle pose sur le rapport à la célébrité et sa fascination narcissique, la médiatisation et l'exploitation du fait divers.
Sauf que Folie à Deux, à l'écran, comme en témoigne son ouverture en animation, s'inscrit à contrepied de son grand frère en épousant la claustration de son anti-héros qui n'a donc plus, comme échappatoire, que l'évasion de son esprit présenté comme torturé, tandis que son avocate s'échine à le présenter comme un malade nécessitant un traitement.
Et qui mieux qu'une nouvelle interprétation d'Harleen Quinzel pour raviver la flamme de la folie et ouvrir le champ des possibles, du côté de l'extravagance, avec des saillies en forme de comédie musicales faisant parfois de l'oeil à Chicago ?
Qui d'autre que Joaquin Phoenix pour à nouveau s'illustrer et porter à nouveau un personnage décrit en 2019 comme la victime d'un système pourri de l'intérieur et qui, en 2024, devient un trophée ou un instrument dans les mains d'une avocate, d'un procureur, d'un nouvel animateur télé ou d'une groupie ?
Sans doute que cette inertie dans le décor principal du film sera le parfait prétexte, pour les contempteurs de Folie à Deux, pour vous asséner que l'oeuvre tourne en rond et n'a déjà plus grand chose à dire sur son clown criminel. Le masqué répondra que c'est un petit peu court.
Car alors même que Folie à Deux dessine l'écran un mouvement de contamination, Todd Phillips retourne finalement son personnage et le plonge dans une atmosphère dépressive qui fait suite à l'étrange euphorie et à la curieuse exaltation contestataire qui animait Joker en 2019.
Et si celui-ci faisait figure de folle journée, Folie à Deux en constitue aujourd'hui la gueule de bois, Arthur Fleck, isolé, revenant à sa figure victimaire oscillant entre le tragique et le pathétique. Todd Phillips et ses scénaristes s'inscrivent donc en total contre courant des attentes démesurées suscitées.
Ecrasé par celles-ci, Todd Phillips ne serait-il pas, en partie, Arthur Fleck ? N'épouserait-il pas ce sentiment de dépression post-partum qui irrigue tout son film ? Ne serait-il pas lui aussi débordé par l'engouement qu'il a suscité, par sa création devenue instantanément une nouvelle figure de proue de la pop culture ? Folie à Deux ne serait-il pas tout simplement une tentative de réponse aux polémiques crétines politico-sociales débiles suscitées en 2019 ?
Ainsi, cette Folie à Deux ne ferait peut être pas seulement référence au duo formé par Arthur et Lee, en quête d'un monde illusoire et rien qu'à eux. Il pourrait s'agir, en effet, d'un dialogue entre un personnage et son créateur, une mise à distance avec un engouement incontrôlable et tout ce qui a suivi. D'un questionnement sur la légitimité de réalisateur de Todd Phillips.
Avec ces questionnements méta à l'esprit, Joker : Folie à Deux pourrait bien acquérir, avec le temps, une dimension supplémentaire fascinante dans ses non-dits, ses sous-entendus et le rapport amour / haine entretenu tant avec son opus original que par un public qui, au regard des premiers retours assassins, le rejette en bloc.
Behind_the_Mask, qui n'a plus très envie de rire.