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Perdre un fils… Quand bien même il est encore vivant.

Quand les routes divergent, que les silences s’installent. Pourtant l’amour est toujours là. Le père prend soin de ses fils, les fils prennent soin du père. Touchante scène de Félix allant “border” son père. On croit avoir inculqué les bonnes valeurs, et puis quelque chose déraille. Ce film me touche d’autant plus qu’il parle de chez moi, de la Lorraine, une terre tout d’abord culturelle plus que géographique, malheureusement traversée par des failles identitaires, ces dernières alimentées par une situation économique désastreuse. Les friches de la sidérurgie abrite les laissés pour compte, ceux en mal d’identité, que la violence et les corps virilisés rassurent. Le père de l’assassin comme se décrit Pierre est-il coupable ? D’avoir laissé la situation s’envenimer alors que son seul désir était de panser les plaies de Félix ? Penser qu’être présent même sans rien dire pouvait suffire à tout régler. C’est sans compter sur l’arrogance des vingt ans de son aîné. Quand il n’y a plus rien sur quoi s’appuyer, quand on ne fait plus confiance au système, seul l’ego nous porte ; jusqu’à ce que le drame survienne. Ca ne pouvait que mal finir dira Pierre à la barre. Et déjà son reflet s’efface quand la porte se referme sur 20 ans de réclusion.


Pourtant réduire le propos au déterminisme social serait trop facile. En contrepoint il y le frère, Louis, qui réussit brillamment ses études littéraires. Pourquoi l’un et pas l’autre ? C’est peut-être la faille du film, perdre un peu trop de temps à filmer les moments familiaux et ne pas regarder un peu plus dans les éventuelles racines du mal. J’ai connu toute cette rancœur à mon époque, il aurait été facile de tomber dedans, dans cet identitaire qui n’est que frustration. Si les traumatismes peuvent perdurer au-delà des générations comme tend à le prouver l’épigénétique, nul doute qu’avec trois guerres sur ses terres, plus les “malgré-nous”, et les batailles sidérurgiques, la Lorraine est une candidate parfaite pour les drames familiaux. J’ai ressenti cela adolescent, cette haine et cette colère dont on ne sait pas d’où elles viennent. Heureusement, j’ai croisé les bonnes personnes et surtout l’amour. Mais Félix lui se heurte à ses proches, aucune présence féminine n’est à ses côtés (le grand vide du film), seul le stade et sa pulsion tribale semble lui donner l’envie de vivre.


Pierre travaille sur les voies, qu'il parcoure un feu de détresse à la main, avec des ténèbres qui l'enveloppent de plus en plus au fur et à mesure que le drame se joue. La sécurité des autres est sa principale mission, mais l’inquiétude l’accompagne en permanence ; il sent bien dès le départ que les fréquentations de Félix sont de possibles sources de problèmes. Il se sent trahi, et pourtant l’amour doit rester inconditionnel. Mais que proposer d’autre ? En tant que père, ce film m’interroge. Et si dans quelques années je vivais une situation de ce type ? Même si je pense qu’il y a peu de probabilités que cela se produise, je ne suis pas maître de tout ce que peux penser mon fils, je dois accepter ses futurs choix, même s’ils diffèrent des miens. Et s'il venait à se prendre un mur, que faire d’autre que tenter d’amortir l’impact ?


Jouer avec le feu est donc un bon film, il pose des questions existentielles au spectateur. Ici la relation père/fils n'est pas manichéenne, ce qui lui donne beaucoup plus de crédibilité. Porté par un casting solide, d’abord par Vincent Lindon, parfait comme souvent, mais aussi par deux nouvelles têtes du cinéma français, Stefan Crépon, et surtout Benjamin Voisin qui crève l’écran par son charisme. Je ne connaissais pas les sœurs Boulin, réalisatrices, mais elles sont à suivre.

Kerven
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