Pierre est cheminot en Lorraine. Il vit avec ses deux fils. La mère est morte.

L'aîné Fus (l'explication de ce surnom est donné au cours du film) végète dans un BUT métallurgie (Bachelor universitaire de technologie) qui ne lui convient guère mais qui lui servira pour un usage bien particulier... tandis que Louis, le plus jeune, réussit brillamment des études littéraires et s'apprête à entrer à la Sorbonne. Aucune ombre ne semble planer sur l'affection, l'entente et l'organisation quotidienne du trio dans la maison familiale. Lorsque Pierre découvre les nouvelles fréquentations de Fus liées à des groupuscules d'extrême droite il tente comme il peut de ramener son fils à la raison.

Le film s'inspire du roman de Laurent Petitmangin Ce qu’il faut de nuit publié en 2022. Les réalisatrices ne cherchent pas (à mon sens) à traiter de la montée des extrêmes droites partout dans le monde et plus précisément en France mais d'essayer de comprendre comment une idéologie, un embrigadement peut s'emparer d'un esprit fragile jusqu'à lui faire perdre toutes les valeurs qui lui avaient jusque là été inculquées. Mais aussi de savoir jusqu'où un parent peut aller pour sauver son enfant. A quel moment l'éducation de ce père a dérapé ? Est-il responsable de la dérive de son enfant ? Est-ce que l'amour peut tout résoudre ? Les réponses dans ce film sont nuancées mais avant d'y arriver, les réalisatrices nous plongent dans la rapide et inéluctable descente aux enfers d'un jeune homme et d'une famille.

Muriel et Delphine Coulin ne suivent pas Fus à la trace. On assiste bien sûr à sa transformation car ces groupes d'ultra droite vouent apparemment un culte sans appel à la violence et au corps. On peut lâcher le mot d'hyper masculinité. Fus ne monte plus les escaliers, il les escalade, au foot il tacle impunément et il assiste fasciné aux combats de MMA (Arts martiaux mixes). Les réalisatrices filment ces scènes ainsi que celles de danses et de pogos avec une impressionnante maestria. Ces moments sont littéralement électriques. Mais on suit aussi la réussite de Louis, le calme, le discret. Mais c'est surtout vers le père (Vincent Lindon, immense... mais est-ce une surprise ?) que sont braqués tous les regards. Cheminot il l'est dès la scène d'ouverture. Comme toujours on croit à la profession du personnage. Mais c'est en papa poule qu'il nous surprend cette fois ci. Il couve ses deux grands garçons, les câlinent, les prend dans ses grands bras, les embrasse comme s'ils avaient trois ans et à la réplique récurrente des deux gars ; "t'inquiète", il rétorque "arrêtez avec vos t'inquiète, je suis votre père, je m'inquiète, je m'inquiéterai toute la vie, c'est comma ça".

Si les nouveaux amis de Fus qu'on ne voit jamais dans leurs oeuvres... sont toujours en arrière plan du changement voire de la chute de cette famille ordinaire à qui rien ne semblait pouvoir arriver, c'est bien au drame familial que les réalisatrices portent toute leur attention. Les "idées" (si l'on peut parler d'idées quand il n'y a que de la haine, de la xénophobie et de la violence) ne sont pas au coeur du sujet mais le combat, la maladresse d'un père qui cherche à comprendre, à aider, à récupérer son fils. C'est absolument déchirant. Emouvantes aussi cette impuissance et cette culpabilité d'être persuadé d'avoir raté quelque chose, de ne rien avoir vu venir...

Un critique a paraphrasé Truffaut qui parlait de Godard. C'est ce que l'on peut dire de Vincent Lindon : "Il n’est pas le seul à jouer comme il respire, mais c’est lui qui respire le mieux." Voilà, je n'y reviendrai pas, Vincent Lindon est L'ACTEUR français évident, incontournable. Le cinéma coule dans ses veines, son regard, sa voix. Et miracle, les réalisatrices le font rire aux éclats plusieurs fois et danser. Il est entouré par deux jeunes acteurs que les réalisatrices ont choisi parce qu'ils sont amis depuis dix ans, ont été co-locataires pendant cinq ans alors qu'initialement elles cherchaient une vraie fratrie de comédiens. Benjamin Voisin tourmenté, exalté, grenade dégoupillée prête à exploser et Stefan Crepon (l'inoubliable et époustouflant Karl de Peter Von Kant) tout en douceur forment avec leur père de cinéma une très attachante et émouvante famille.

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le 26 janv. 2025

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