Après "les vacances de M. Hulot" et "Traffic", me voici avec "jour de fête" de Jacques Tati. J'aime beaucoup ce cinéaste que je connaissais de nom (grâce à un prof en classe de seconde (1970) qui ne cessait de s'y référer) et que je n'ai réellement découvert que dans les années 80 …
Et pourtant, on me rétorquera que je me lâche bien souvent sur les screwball comedies ou sur le cinéma burlesque qui, effectivement, ont le don de me lasser assez vite. Oui, sauf que Tati réussit cette étrange performance sur moi d'au moins toujours me faire sourire et d'en redemander.
Tati, c'est d'abord l'observation fine des travers de notre société, un regard narquois sur le progrès, une réflexion sur la société de consommation, une analyse des effets d'une perturbation sur les habitudes et la routine.
"Jour de fête", c'est ça mais c'est aussi autre chose. C'est la France profonde de juste après-guerre. À Sainte-Sévère dans le Berry, les jours se suivent et se ressemblent : le paysan cultive ou moissonne, le bistrot sert à boire et le facteur distribue. Une petite vieille, une commère toute recroquevillée (en fait, il parait que c'est un homme) qui mène sa chèvre, commente tout ce qui se passe et surtout les écarts à la normalité : du volume du pot de chambre vidé dans le caniveau à l'heure d'ouverture (en retard ou en avance) des volets d'un tel.
Et c'est déjà là, un point qui me semble distinguer Tati des autres cinéastes burlesques ou loufoques. C'est que les seconds voire troisièmes rôles sont tout aussi importants que le premier rôle (en général, Tati lui-même) et contribuent beaucoup au comique. Ici, en particulier, on sent une tendresse évidente de Tati envers les protagonistes, souvent des figurants issus du village. La caméra suit longuement le petit gamin qui court derrière le convoi des forains avec sa tartine à la main. Elle s'attarde sur les jeunes filles (toutes fraiches …) qui s'apprêtent pour aller à la fête dans leur meilleure tenue (une jupe très légèrement raccourcie) sous le regard égrillard de la commère. Et ces scènes (amusantes) ont autant d'importance que celles, désopilantes, où François le facteur tombe dans un traquenard au bistrot où les deux forains (dont Frankeur) le saoulent en douce.
La vie routinière du village est bouleversée par l'évènement annuel de la fête du village concrétisée par l'arrivée des forains et du cinéma ambulant. Lorsqu'arrive ce grand dadais, consciencieux mais naïf, de facteur au bout d'une demi-heure de film, la mise en scène est presque prête car on n'attendait plus que lui pour régler les derniers préparatifs, en particulier la pose du poteau. Une scène d'anthologie.
La tournée du facteur à l'américaine ! Au-delà, du comique de situation où François, dans un haussement d'épaules, veut montrer que lui aussi il sait faire mais que personne n'y gagnera, on devine le bon sens paysan sourire de ces exploits de facteurs US vus au cinéma comme la dernière bonne blague ou comme une innovation inutile et coûteuse de ces gens de la ville.
Oui, pour finir, je dirais que j'aime beaucoup ce film que je regarde régulièrement car il fourmille de petits détails qu'on découvre et savoure au bout de plusieurs visionnages. Comme la surprenante image de jeep de la MP américaine. Pas si surprenante à cette époque et en ces lieux à cause de l'importante base aérienne américaine à Châteauroux.
Et puis, surtout, il se dégage une grande chaleur de ce film, un charme certain qui peut parfaitement fonctionner sur un public de tout âge.