Four présidentiel

En voulant proposer une alternative aux chaînes d’infos en proposant une fiction tournée en temps réel le soir du second tour de l’élection présidentielle, Arte par le biais des réalisateurs Jeanne Frenkel et Cosme Castro réalise un plantage total. Tout est faux dans ce film bourré de clichés : faussement poétique, faussement politique, faussement sentimentale, faussement réaliste.

Il est 19h ce 24 avril 2022. Dans une heure, les Français découvriront le visage de leur prochain Président de la République. Julien retrouve Félix, son frère qu’il n’a pas vu depuis plusieurs années. Ce dernier arrive d’Australie pour régler les formalités administratives liées au décès de leur mère.

Une première chose m’a exaspéré. Le film s’ouvre sur une journaliste interviewant un passant, lequel s’empare du micro et se met à s’adresser au téléspectateur. C’est que le passant est en fait le narrateur qui débite des phrases pseudo-littéraires et plombantes. Il conjugue tous les verbes à l’imparfait (« Les deux frères ne s’étaient pas vus depuis cinq ans »), car l’imparfait c’est le temps de la littérature, du romanesque. Le film est plombé pas ses effets : regard caméra censés être drôles, adresse au spectateur pour l'interpeller et l’intégrer dans l’histoire.

La retrouvaille entre les deux frères a lieu le temps d’un assez long voyage en voiture. Les personnalités des deux frères ne sont construites que par opposition. L’aîné est libre, le cadet est ingénieur. L’aîné est resté dans la maison familiale, l’autre est parti. L’aîné est un désabusé de la politique, le benjamin veut absolument voter. L’aîné est encore un grand gamin, le plus jeune va être père. Leurs différences vont-ils les séparer ? On l’aura compris, les frères sont différents. Mais fallait-il être dresser les traits caractéristiques de manière aussi grossière ?

Enfin, ce qui m’a achevé est la représentation pour le moins folklorique de la vie du village. Mais les réalisateurs ont-ils seulement mis les pieds dans un village ? Ce dernier commentaire est exagéré mais franchement, le village filmé sent le carton-pâte avec sa place de la mairie, sa baraque à frites, ses bars. Tout cela vit dans une ambiance visiblement très musicale car le narrateur est aussi l’animateur de la programmation musicale du film. On est moins chez Jacques Demy et ses chansons que chez le Pascal Thomas de ‘Valentin, Valentin’ et d’ ’A cause des filles’. Mais le film de Jeanne Frenkel et Cosme Castro n’en a ni la fantaisie, ni le charme.

J’écoutais Félix Moati interviewé sur France Inter, lequel soulignait l’importance de proposer une alternative aux chaînes d’infos pour évoquer l’élection. Pourquoi pas ! A condition d’avoir quelque chose à dire de neuf. Hélas, les poncifs pleuvent comme sur le danger de l’élection de Marine Le Pen. Mais ça, on l’a déjà entendu sur les chaînes d’infos. A force d’accumuler les sujets (la vie de village, les frères différents, l’amour de jeunesse, la mère décédée), on en oublie le premier enjeu du téléfilm : l’élection présidentielle. Présentes dans les dix premières, les élections présidentielles ne reviennent que dans les cinq dernières minutes. Pour tout dire, on l'oublit complètement.

Ajoutons que les comédiens ne sont pas très bons. Le projet n’a clairement pas été suffisamment pensé ou travaillé avec les comédiens. Félix Moati, qui est d’habitude un bon acteur, est ici transparent. Damien Chapelle est épouvantablement faux. Quant à Julia Faure, qui ressemble désormais à Anna Mouglalis et en a la voix, elle est la seule à livrer une performance convenable.

Arte et son duo de metteur en scène livrent un court téléfilm (62 minutes) totalement raté et bâclé. En espérant qu’ils ne réopteront pas pour ce dispositif pour le second tour des législatives.