Zhang Yimou, si je le connaissais depuis longtemps, est un cinéaste que je n'ai approché que très tardivement. Si son style ne m'a pas laissé indifférent, il m'a surtout fortement frappé avec son premier film qui est "Le Sorgho Rouge", sorte de tableau effroyable du monde paysan oenologue face à l'adversité. Yimou aime les espaces reculés, souvent en huit-clos, loin de l'effervescence populaire où il y jette les individus qui ne tarderont pas à être tourmentés par la malice d'un scénario bien ficelé et plus ou moins cruel. En Ju Dou, j'y ai vu plusieurs clins d'oeil au Sorgho Rouge, que ça soit par la campagne dans laquelle se cache un mal profond et l'artisanat qui en est le centre névralgique de cet espace-temps. A défaut du vin, c'est la teinturerie qui est de la partie. Une occasion rêvée pour le réalisateur de jouer sur les couleurs plutôt chaudes pour l'occasion (rouge, orange, jaune, une légère apparition du bleu). En chipotant un peu, quand l'enfant plonge une herbe dans le colorant rouge, je n'ai pas pu m'empêcher de repenser aussi au film susmentionné. Si l'on y a souvent vu les premières esquisses du classique "Epouses et Concubines", gare à ne pas oublier l'influence du sorgho derrière.
Si la pochette de Ju Dou laisse présager quelque chose de léger si l'on ne lit pas le synopsis, même sa lecture n'arrive pas à retransmettre l'impact du visionnage. Nous est alors brossé la thématique de l'oppression patriarcale chinoise des années 20 reléguant la femme à une simple marchandise à utiliser au lit et à punir par la force si elle ne veut pas écarter les cuisses. L'histoire démarre après la transaction, ce qui fait que nous tombons directement dans le quotidien triste de notre petite Ju Dou qui ne peut que se soumettre, résignée face à la toute puissance de l'oncle de Tianqing qui regardera d'un oeil obscène les beaux attributs de sa tante (qui ne l'est que sur papier pour les filous qui s'attendaient à de l'inceste). Je me permettrai de faire certains spoil en-dessous donc vous êtes prévenus.
Zhang Yimou par l'alliance charnelle entre la tante et le neveu va faire éclater toute la beauté et la cruauté d'une histoire où la violence n'est pas que physique mais davantage psychologique. Certes, si coups il y a, la force de frappe résulte bien des actes pervers des uns envers les autres. Laisser en vie l'oncle paralysé pour qu'il contemple de rage l'amour de Ju Dou et Tianqing. Ce même oncle qui n'aspirera qu'à la vengeance au point de faire l'impardonnable : conditionner le petit garçon à le considérer comme son père et faire passer Tianqing pour son grand frère. Cette méchanceté est dirigée vers tous et même sur l'enfant qui est le vecteur des invectives de chacun. Une observation qui n'est pas si rare et même chez nous dans les cas de divorce. Sa psyché n'en sera qu'irréversiblement altérée pour laisser place à un monstre dépourvu de tout sentiments et aussi loquace qu'une porte de prison.
Ju Dou nous parle de souffrance, de mal-être mais avant tout de la piètre considération de la femme en ces temps pas si reculés. Et au risque de recevoir quelques pierres, j'ai été davantage frappé par ce film plutôt que par "Epouses et Concubines".