Jugatsu
6.8
Jugatsu

Film de Takeshi Kitano (1990)

Takeshi Kitano sort "Jugatsu" en 1990. Il signe ici son deuxième long-métrage juste après "Violent Cop" sorti en 1989. Arrivé donc très récemment dans le métier de la réalisation, Kitano réalise-là une œuvre absolument majeure dans sa filmographie (même si elle n'est clairement pas la plus connue et reconnue par les cinéphiles), qu'il qualifie lui-même comme son "film-chéri".
En effet, "Jugatsu" est déjà empli de tous ce qui caractérise les tics de mise en scène, la composition du cadre, les thématiques, la direction d'acteurs ou l'humour chez Kitano.


Le protagoniste, Masaki, très discret et avare en parole préfigure du héros kitanien déjà enclenché dans "Violent Cop", d'une manière relativement différente. Ce personnage assez naïf et inconscient par moments, va, causé par un excès de courage (ou d'inconscience), jusqu'à blesser l'égo d'un yakuza et par extension sa famille; et pour se sortir de ces problèmes, il va partir à Okinawa en quête d'une arme à feu pour son "mentor" ex-yakuza.


Kitano mêle noirceur et comique avec brio, sûrement même son meilleur film pour cela. La première scène du film est très parlante de cette effronterie comique présente au long du film; le protagoniste est au toilette, il est censé participer à un match de baseball, mais non, celui-ci "chie", il sort des toilettes et sans sentir une quelconque pression il se rassoit sur le banc des remplaçants. Cette scène d'ouverture pose déjà parfaitement les quelques personnages importants du film et ce qui les caractérisent.
Le jeune protagoniste paumé (paumé comme souvent chez Kitano) et l'ex-yakuza un peu borderline sont très rapidement cernés, par les mouvements de caméra et la composition du cadre, appuyant les traits de caractère de chacun, et bien-sûr par leur acting.


Bien évidemment, film de Kitano où la présence de yakuzas est centrale signifie, et encore plus dans cette comédie noire, désacralisation absolue voire même ridiculisation par certains moments de l'image du gangster japonais.
Le yakuza, à la source des problèmes du protagoniste, ira jusqu'à feindre la fracture, alors que Masaki l'a seulement frôlé, afin de soutirer de l'argent (à priori) à la station-service où il travaille. Kitano montre le yakuza comme une vermine, pitoyable et ridicule.
Tout honneur, présent dans l'imaginaire du yakuza, est ici ôté avec subtilité.


Dans un autre registre, le personnage de Kitano, Uehara, yakuza (très) effronté, (très) dangereux et (très) fou sur les bords, représente un peu le yakuza ultime du cinéma de Kitano, extrêmement violent dans ses actes et ses mots mais aussi terriblement enfantin dans son rapport à la violence.


A la manière de Murakawa dans "Sonatine", l'arme à feu, et plus généralement la violence ici, représente l'outil régressif et ludique du yakuza, grand enfant dans l'âme.
Mis à part le côté entrepreneur du métier que l'on pourrait affilier aux grands boss des quelconques familles (donc quasi absents dans ses films et dans Jugatsu de même), le yakuza de Uehara, vide de toute responsabilité entrepreneuriale ou véritablement adulte/professionnelle, joue toujours au jeu du Cowboy et de l'indien à la manière de jeunes enfants s'amusant à se tirer dessus.
Il paraît même capricieux à certains moments; celui-ci force son bras droit a coucher avec sa petite amie, ce qu'il fera, mais Uehara n'aura de cesse ensuite de reprocher cet acte à sa petite copine, qu'il frappera à maintes reprises, mais cela sans haine visible mais par pur jeu pervers et peut-être aussi par regret d'un caprice pathétique.


De même cette absence de responsabilisation du personnage passe aussi par le doigt coupé; ayant commis une erreur aux yeux de son chef, celui-ci doit se couper une phalange (le classique chez les yakuzas quand il est question d'expiation), mais dans ce prolongement d'une personnalité enfantine, il va fuir cette responsabilité, liée et causée par ses actes, et va couper le doigt de son acolyte.


Toute ces scènes assez noires et violentes au demeurant sont finement alliées à des touches d'humour (noir donc) pince-sans-rire, intelligemment parsemées tout au long du métrage (contrairement aux film des studios Marvel, qui oublient toute subtilité en désamorçant totalement leurs séquences dramatiques -ou de tensions- par des blagues lourdes, inutiles et particulièrement bêtes), rajoutant à cette satire, quelque peu atypique et totalement kitanienne, une saveur exquise en plus.

lewbbonlaiww
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Top 50 films, Les meilleurs films des années 1990, Les meilleurs films de Takeshi Kitano et Les meilleurs films avec Takeshi Kitano

Créée

le 26 févr. 2021

Critique lue 638 fois

8 j'aime

lewbbonlaiww

Écrit par

Critique lue 638 fois

8

D'autres avis sur Jugatsu

Jugatsu
Truman-
6

Critique de Jugatsu par Truman-

Avis assez mitigé face a ce Jugatsu, la première chose qui me tape a l'oeil c'est pourquoi Kitano est sur l'affiche alors qu'il n'a qu'un petit rôle secondaire, c'est pas un peu prétentieux ça ...

le 7 août 2013

8 j'aime

1

Jugatsu
lhomme-grenouille
4

Critique de Jugatsu par lhomme-grenouille

Deuxième film de Kitano, mais en fait le premier où Kitano est vraiment libre de ses mouvements. On y retrouve tous les ingrédients qui ont fait son talent dans "Violent Cop", mais ce coup-ci sans...

le 2 avr. 2018

5 j'aime

Jugatsu
JeanG55
3

Jugatsu ou 3-4x10

Dans la filmographie de Takeshi Kitano, Jugatsu est son deuxième film. Mais, il semble que, pour le premier "Violent Cop" (que je ne connais pas), Kitano aurait remplacé le réalisateur en cours de...

le 18 avr. 2024

3 j'aime

4

Du même critique

Jugatsu
lewbbonlaiww
10

"La courte histoire d'un fol ingénu"

Takeshi Kitano sort "Jugatsu" en 1990. Il signe ici son deuxième long-métrage juste après "Violent Cop" sorti en 1989. Arrivé donc très récemment dans le métier de la réalisation, Kitano réalise-là...

le 26 févr. 2021

8 j'aime

Les Anges déchus
lewbbonlaiww
9

"Errances et romances à Hong Kong"

Cinquième film du réalisateur hongkongais Wong Kar-wai, "Fallen Angels" (ou "Les Anges déchus") arrive juste après l'immense "Chungking Express" sorti en 1994. Sorte de suite à celui-ci, Wong Kar-wai...

le 26 févr. 2021

4 j'aime

2

Getting Any ?
lewbbonlaiww
8

Le ridicule ne tue pas. Ou pas ?

Cinquième film de Takeshi Kitano, il se démarque assez de ses précédentes longs-métrages. Il sort en 1994 juste avant son grave accident de scooter; qui le marqua à vie, lui paralysant la moitié du...

le 13 mars 2021

3 j'aime

1