Chaque film de Kaurismäki semble être une fin, comme si créer était pour lui une manière de vivre l'arrachement d'une partie de lui-même. Combiné à une espèce de je-m'en-foutisme, cela fait de lui le talentueux poète noir et grinçant qu'il laisse ici parler à cœur ouvert. La preuve : il a fait un film muet parce qu'il n'avait pas réalisé que son acteur André Wilms ne parlait pas finnois ; pourtant, c'est tellement maîtrisé que ça aurait pu être prévu.
Difficile de produire un film noir et muet comme "à l'époque", où la musique, loin d'accompagner ou de souligner l'action comme aujourd'hui, en était le reflet exacerbé. Kaurismäki y parvient sans y ajouter sa propre technique, ce qui était peut-être une mesure d'économie ou de minimalisme de sa part, toutefois c'est ce qui rend l'ambiance de Juha unique. Muet, il nous réduit au silence.
On peut lui reprocher de ne rien avoir approfondi. Sans fond ni procédés, il est l'archétype de l'histoire pour l'histoire, nécessitant qu'on sache s'y attacher sans avoir trop d'exigences. Encore une fois, même dans la nouveauté et en réussisant presque malgré lui, le cinéaste fait de sa création une fin en soi : a-t-il encore des choses à dire ? Mais j'y réponds : en a-t-il jamais eu ?
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