" Dans l'tourbillon d'la vie ..."
Regarder un Truffaut les yeux innocents, sans être influencée par les critiques élogieuses et sa place de chef d'œuvre est-ce possible encore aujourd'hui ? Il me semble que non et d'autant plus quand on se prétend adoratrice du cinéma (je pourrais dire cinéphile mais ce terme me parait presque prétentieux ^^) et qu'on s'attaque à un tel monstre.
Et surtout quand on n'a vu aucun Truffaut dans sa vie et que par là on a l'impression d'être stupide. Je pense donc qu'Arte avait entendu mes prières silencieuses puisque la chaîne a décidé récemment de rediffuser à foison des films du cinéaste proposant même de nombreux documentaires sur son oeuvre.
L'occasion était donc trop belle pour que je puisse la manquer. Me voilà donc, à l'heure prévue, flanquée sur mon canapé, l'air de rien, l'esprit un peu vaseux avec la volonté d'être un peu intelligente, prête à affronter ce "monstre sacré". De Jules et Jim je connaissais la célèbre chanson "Le Tourbillon" interprétée par la , à l'époque, jeune et fraîche Jeanne Moreau, j'étais donc presque conquise d'avance.
Mais disons que se lancer dans la critique d'un tel monument est assez complexe et encore une fois il est assez prétentieux de croire pouvoir faire le dépeçage et l'analyse d'un tel travail à 20 ans. Mais passée outre les craintes, on peut dores et déjà reconnaître que Truffaut à la qualité de ces grands cinéastes qui ne se sont pas bâtis sur un mais sur des films et surtout de ces réalisateurs qui ont su piocher un sujet quand il était temps de le faire.
Adapter un livre en 1962 ? Hum... c'est toujours assez identique à aujourd'hui, la question étant: comment retranscrire une écriture littéraire en image et en dialogues ? Époque fabuleuse d'un jeu d'acteurs au naturel et d'une liberté assez désinvolte, Truffaut bénéficiait de plusieurs manières pour faire de la littérature une œuvre cinématographique. Sa solution peut quelque peu sembler artificielle au premier abord, la voix off venant parfois souligner (comme c'est souvent le cas) et dicter aux spectateurs une émotion qu'on aurait pu lui faire deviner, ressentir et la stagnation s'en ressent dans les dialogues parfois étriqués et trop posés.
Mais il y a dans ce film un sujet principal, celui d'une libération, celle de la femme, une Jeanne Moreau libre qui joue avec les hommes mais finit par se faire piéger. L'histoire repose sur un trio et, comme l'affiche le démontre, au départ ce sont trois amis qui s'amusent joyeusement (Jeanne Moreau interprétant une Catherine se travestissant en homme pour un soir).
Catherine qui fascine les deux hommes, ces deux amis qui se vouent un respect commun et qui entretiennent une de ces relations intellectuelles et formelles comme il y en a tant pourrait-on penser mais, en réalité, un "plus" uni ces deux hommes et Truffaut prend bien le temps de nouer leur relation avant de faire apparaître l'ouragan Catherine. Et, ici, c'est la femme qui décide, ce sera un voyage à la mer pour fuir la pluie, le trio pas encore triangle amoureux, s'embarque pour un voyage presque enfantin qui se soldera par une douce demande en mariage de Jules l'allemand qui ne se trouvait pas de femme à son goût.
La guerre intervient, épanchement des séparations et des doutes mais les lettres enflammées de Jules font renaître un peu d'amour en Catherine (elle le confira à Jim dans une magnifique scène de discussion entre les deux personnages). D'ailleurs Jim et Catherine, depuis ce rendez-vous raté dans un café, semblent être l'harmonie avortée, l'alchimie manquée ils se rapprochent, s'attirent et se désirent. Un désir qui s'amplifie, s'efface et se recréer sans cesse, à coup de départ, de décisions et d'amertume parfois. Parce que Catherine veut être avec Jim tout en restant en bons termes avec Jules (qui ne veut pas la perdre et accepte par amitié aussi, loyauté surement) et sous son consentement et parce qu'elle se paye le luxe d'autres amants.
Elle incarne un début de libéralisation, une folie douce et une force de manipulation très forte. La chanson de Jeanne Moreau illustre très bien les tenants et aboutissants de ce trio, de l'amour aussi où tout n'est que construction et projection sur autrui (le soldat qui écrivait à une inconnue jusqu'à en tomber amoureux fou sans l'avoir jamais revue).
Le meilleur du film et sa force réside dans les vas et viens au gré des humeurs de la dame qui finalement ne laisse jamais le choix à personne mais bouleverse la vie de ceux qu'elle croise, tout comme le cinéma de Truffaut, et particulièrement ici dans le traitement du film, ne nous laisse pas décider et nous oriente avec sa voix off vers une irrépressible envie d'aller toujours plus loin, par une image impeccable, un travail sonore parfait et une grande maitrise et intelligence cinématographique qu'on ne peut nier. Et ce, quoi que l'on pense de ce trio amoureux fédérée par Catherine mais dont le titre semble donner la vedette aux deux "frères par choix" que sont les deux amis éternels et véritables : Jules et Jim et pour preuve, leur amitié cinématographique a déjà parcouru 50 ans de cinéma et quelque chose me dit que ça n'est qu'une petite partie de la longévité du cinéma de Truffaut....