Julieta la Tragedia que Toca mi Corazón.

J'écris rarement de critique pour évoquer la passion que je porte à un film, mais là je me dois de le faire. Car Almodovar et moi c'est une grande histoire d'amour, comme celle que l'on ne voit qu'au cinéma. Cette flamme elle a commencé a brûler durant l'adolescence, quand j'ai découvert son univers folklorique, c'était en 2006 pour la sortie de "Volver". Ce fut un choc, une révélation et aussi le plaisir de savoir que dans mon pays d'origine l'Espagne, il existe un cinéaste moderne dont je serai fière d'invoquer le nom et le talent. Dix ans passent, nous sommes en 2016, je décide de me refaire l'intégrale de la filmographie de "Pedro Almodovar" avant la sortie de son nouveau film "Julieta". En dix ans les gens changent, ils évoluent et pourtant je me retrouve encore le ventre noué et le coeur serré devant ces oeuvres. Comme si le temps n'avait eu aucun effet sur la beauté de ces images et des sentiments qu'ils véhiculent.


Revenons en maintenant au film en question "Julieta", il est important de constater qu'il arrive juste après une petite pause récréative intitulée "Les Amants Passagers". Une comédie de moeurs mineure et assez anecdotique, qui permet au cinéaste Espagnol de préparer au mieux son film suivant. Et de se reposer l'esprit après l'excellent et clinique "La Piel que Habito", qui lui a pompé pas mal de temps et d'énergie.


Comme souvent chez Almodovar, dans "Julieta" ce qui semble simple a comprendre à la lecture du synopsis, se révèle beaucoup plus complexe au fil de l'intrigue. Dans "Étreintes Brisées" un précédent film avec "Penélope Cruz" en vedette, chaque partie du puzzle se recompose sous nos yeux. En 2009 il utilisait comme symbolique plusieurs photos déchirées, bien plus tard dans le film elles forment un tout. En 2016 c'est pareil sauf que "Les" deviennent "Un", ce qui souligne une certaine épuration dans son cinéma. Comme si le poids du temps avait eu raison d'une certaine maturité chez l'artiste Espagnol et que c'est dans les choses simples, que le sentiment devient profond et sincère.


Il y a aussi une chose importante qui a changé chez lui, c'est qu'il délaisse le mélodrame pour se consacrer uniquement sur le drame, d'ou l'épuration de son cinéma évoqué plus haut. Le film prend des allures de tragédie Grecque, c'est pas pour rien que le personnage de Julieta est enseignante en littérature Grecque durant sa jeunesse. Il y aussi beaucoup d'éléments qui nous plongent dans cette hypothèse (la pêche, les marins, les tempêtes, la mort, les non-dits). La juxtaposition Mère/Mer prend tout son sens dans le récit, puisque au fil des années un gouffre tel que l'océan sépare la Mère "Julieta" de sa fille "Antia". On peut même voir a un moment donné un tableau bleu abstrait en arrière-plan, qui semble fissuré sur le milieu et ou la mère (Julieta) semble traverser l'Océan pour rejoindre l'autre rive. Indice suprême qui laisse présager qu'elle est en train de perdre sa fille, dans un premier temps symboliquement, puis plus tard physiquement.


Autre scène clé qui prouve que Almodovar ne laisse rien au hasard, le moment ou sa fille "Antia" et sa meilleure amie "Béa" la sorte du bain et l'essuie avec la serviette rouge. Déjà la couleur n'a rien d'anodine, le rouge synthétise à la fois l'amour et la haine, sans oublier la notion de culpabilité qui sommeille en chacune d'elle. Et le réalisateur profite de ce plan subtil pour créer une saute temporelle, ou l'on passe de la Julieta jeune interprétée par la magnifique "Adriana Ugarte", à la Julieta plus âgée "Emma Suarez" bouleversante à chaque instant.


Je pourrais revenir également sur la scène du train, ou se côtoie au même moment deux des références fétiches du cinéaste, a savoir "Alfred Hitchcock" et "Luis Bunuel". Le premier clin d'oeil est évident, puisque la rencontre d'un homme inconnu dans un train, évoque le film "L'inconnu du Nord Express". Tandis que la seconde référence, se joue plus sur la symbolique du cerf, que l'on aperçoit courant vers la fenêtre du wagon et qui renvoi au surréalisme propre au cinéma de Bunuel. Il y a aussi les séquences plus intimistes comme celle dans la maison en bord de mer, qui rappelle le film "Persona", ou plus généralement l'ensemble de l'oeuvre de "Ingmar Bergman".


Visuellement "Julieta" a vraiment de la gueule, le film regorge de plan qui imprime la rétine (beaucoup sont déjà présent dans les extraits). Les longues focales, les plans plus serrés, l'éclairage sur les visages des actrices, comme toujours depuis le début des années 2000, techniquement le film est irréprochable. La musique se veut beaucoup plus discrète cas l'accoutumée et ce n'est pas pour me déplaire. Le thème musical n'intervient que sur le dernier plan et le générique de fin, il fallait ça pour ne pas tomber dans les facilités du mélodrame.


Quasiment tout les thèmes de prédilection de Almodovar se retrouve dans ce "Julieta", que ce soit les drames familiaux, les relations conflictuelles mère/fille, la culpabilité et les remords, les non-dits, les fantômes du passé qui se répercutent sur le présent. C'est vrai que ça manque de personnage extravagant, quasiment pas d'humour, la présence masculine très peu présente, peu de couleur chaude à l'écran. Mais ça me gène pas, car un cinéaste même s'il garde des caractéristiques qui font que son cinéma doit rester reconnaissable au yeux de tous. Il se doit d'évoluer pour que son cinéma gagne en maturité, en compréhension, en faisant toujours attention que son intention n'occulte pas l'émotion.


Au final, "Julieta" synthétise un renouveau et un tournant dans la carrière de "Pedro Almodovar", qu'on avait déjà pu apercevoir avec "La Piel que Habito" quelques années auparavant. Le film se veut d'une extrême justesse dans la dramaturgie de ces personnages et la façon dont il hérigie les femmes comme des personnages modernes, dans leurs forces et leurs faiblesses. Comme si le réalisateur au milieu de ce drame, détiendrait la clé de vérité qui pourrait sécher nos larmes et qui mettrait tout le monde d'accord, pour qu'on lui file enfin sa Palme d'Or qu'il mérite tant.

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le 17 mai 2016

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