Marcel Carné s'est entouré de le fine fleur des "techniciens" du cinéma français (Trauner, Alekan, Kosma) pour composer ce conte onirique qu'on trouvera en définitive, sur le fond, moins merveilleux que désespéré au regard de son dénouement.
Il ne manque que Prévert, et peut-être doit-on regretter cette absence, lorsqu'on connait les vertus de sa collaboration avec Carné, car nul mieux que Prévert ne pouvait transcender les amours poétiques du personnage de Gérard Philipe.
En l'état, l'amour rêvé et passionné de Michel passe par une illustration naïve, presque académique. Très sagement, Gérard Philipe, en héros romantique, fait du Gérard Philipe, tandis que l'inconnue Suzanne Cloutier incarne une jeune fille pure et candide un peu convenue, eu mieux traditionnelle. Cependant, l'esprit mi-onirique, mi-poétique du film n'est pas sans engendrer un caractère imaginaire tout à fait original et par instants ludique. Du fond de sa prison (qu'on peut voir comme une métaphore du réel), Michel rêve de Juliette qu'il désespère de retrouver et dont on méconnait encore l'existence dans la réalité. Son rêve, démonstration de non-sens et de fantaisie, entraine Michel dans un village pittoresque où les habitants sont sans nom, sans mémoire ni souvenirs.
Au terme de son errance et de ses amours contrariées, on en conclut que l'amour est plus fort que l'oubli et que, plus amèrement, la chimère et l'imagination sont moins décevantes que la vie réelle.