Jupiter Ascending m'a l'air bien représentatif d'un cinéma à la fois simple et grandiose, véhiculant le même effet qu'avait pu faire Star Wars en son temps mais en plus démesuré et grandiloquent.
Sauf que les temps ont changé et le public avec.
Ce genre de spectacle n'a plus le même impact sur le grand public qui a peur de se donner, de s’abandonner à la fiction, comme pour prouver son intelligence et sa supériorité face à un art capable de lui faire vivre mille émotions et qui préfère se contenter de produits faits à la chaîne asservissant et méprisant comme les Marvel ou autres Hunger Games.

Si les Wachowski en vrai rebelles du système réussissant à infiltrer la matrice des studios, ont fait figure d’outsider et d’anticonformiste provoquant l’incompréhension et le rejet du grand public, ils continuent d’opérer une œuvre d’une intégrité et d’une créativité folle cassant les schémas narratifs ou les normes établis rappelant Jodorowsky ou Gilliam, lequel a un petit rôle, hommage à son Brazil.


Mais revenons au film: le duo, fidèles à leurs habitudes célèbrent l’imagination, l’émerveillement, le sentimentalisme, l’amour simple et vrai. Les cyniques apprécieront ... ou pas.
Alors oui on frôle le ridicule par moments mais ça fait du bien un blockbuster qui ose jouer la carte du merveilleux, de l'onirisme, au premier degré et avec autant d'ardeur, comme l'avaient fait dans une moindre mesure Avatar, Gravity ou Pacific Rim.
Sans que l’on prenne garde, le duo nous fait apercevoir pour la première fois un univers tellement étrange qu’il perturbe l’œil, et nous donnerait presque à croire que ça y est, les Wachowski ont pété leur ultime durite.
C’est tomber dans le piège d’une œuvre qui trompe le spectateur de la même manière que son héroïne (Mila Kunis), toute ébahie par le caractère bizarre, mystérieux et inédit des évènements qui s’abattent sur elle.
Cain (Tatum) est un albinos avec de l'adn de loup, Jupiter (Kunis) n'ayant pas de pays natal car né sur la mer entre l'orient et l'occident apprend qu'elle a des gênes extraterrestre. Cain rompt l’ordre ancien auquel il appartenait pour guider Jupiter dans son ascension vers elle-même (comme Néo découvrait son moi intérieur dans Matrix), les deux personnages formant alors un duo idéal qui va apprendre à fonctionner en harmonie. La norme dans beaucoup de blockbusters de livrer une romance fadasse proche du plan cul mal assumé est pris ici à rebrousse poil, contre toute attente on assiste à une véritable histoire d'amour naïve d'une sincère candeur, qui mine de rien est un appel à la tolérance de l'autre, à accepter et aimer ce qui n'est pas comme nous. On est dans un conte initiatique, JA étant le pendant féminin de Matrix, comme si Lana après avoir effectuée son changement sexuel d'identité, s'interrogeait sur le caractère hybride ou le problème d'identité dans ce monde globalisé. Mais loin de tout repli identitaire réducteur les réals au contraire se soucient continuellement d’un universalisme qui n’exclue aucun de ses spectateurs potentiels.


On pourrait reprocher un récit ou un montage parfois bancale ou maladroit sans doute du aux nombreuses ellipses ou raccourcis scénaristiques imposés par la Warner pour que le métrage ne dépasse pas les 2h.
C'est d'autant plus frustrant car avec une version plus longue, les sous intrigues, les différentes planètes et les personnages auraient pu être plus exploités. Il faut dire que la première version du scénario des Wacho faisait 600 pages (plus de 9h) et aurait mérité une trilogie entière pour exploiter la richesse de cet univers mais aussi les concept de la réincarnation, du ré-encodage de l'ADN humain permettant l'immortalité des élites, des peuples utilisés comme matière première, des planètes moissonnées comme de vulgaires champs, ect.
Bref autant de thèmes et idées passionnantes qui trouvent un écho socio-politique à notre société consommatrice et sont traités comme une charge typique chez les Wachowski contre le caractère asservissant du système capitaliste.


Face à ces petits défauts de rythmes, on ne fera pas la fine bouche tant ce film est un condensé ahurissant de maestria visuelle. La poursuite dantesque détruisant les grattes ciels de Chicago entre terre, ciel et mer balaye la concurrence d'un revers de la main grâce à une immersion de tous les instants due à une caméra embarquée et des CGI hallucinant de réalisme.
En une seule scène qui met à l'amende toutes les tentatives super héroïques récentes de Marvel, Jupiter Ascending nous réconcilie avec un genre que l'on pensait enterré sous les blagues et les clins d’œil d'Iron Man, Thor et autres gardiens de la galaxie.
S'inspirant de Wagner ou Tchaïkovsky, Michael Giacchino compose une partition rappelant les plus belles de John Williams, et qui sait être épique ou sautillante quand il le faut mais jamais lourdingue (pas vrai Hans Zimmer).
Et que dire de cette direction artistique somptueuse? Les cinéastes puisent leur influences dans les mythes et les légendes, en s'inspirant de l'Orient et des milles et une nuit pour la planète et le palais de Kalique; la Renaissance et l'antiquité grec pour Titus; et le Cyberpunk à la Blade Runner pour Balem.
Cette alchimie baroque donne un mélange inattendu mais toujours cohérent.
La 3D est assez démentiel tant elle transcende l’univers mis en image. Cet univers capte l’attention par sa profondeur (pas seulement de champ), mais surtout par l'ambition visuelle qu’il affiche comme par la mythologie qu’il implique.

Qui d’autre à l'heure actuelle est capable d’autant de folie, contenue avec autant de virtuosité et offerte avec autant de générosité?


Jupiter redonne ses lettres de noblesse au Space-Opera, genre périlleux où nombres de cinéastes se sont cassé les dents (remember David Lynch et son Dune). Surtout que dernièrement, ce genre en avait bien besoin après les très convenus remakes de Star Trek ou l'horrible Gardien Marvel qui semblait jouer dans le bac à sable de la SF.
Et si JA s’avère aussi important de nos jours, c’est parce qu'il a cette capacité à faire carburer notre imagination dans tous les sens, à nous donner le sentiment que tout est possible et qu’il n’y a pas de limite ou de frontière quand on crée des histoires.
Car aujourd'hui, devant la déferlante de suites et remakes sans idées recyclant les mêmes codes depuis 30 ans, s'émerveiller ou s'évader est devenu difficile notamment à cause de la mode du cynisme teinté d'humour chez Marvel qui consiste à systématiquement tout dédramatiser par des blagues faussement ironiques permettant au spectateur de se rappeler que tout ça n’est que pour son plaisir immédiat et que ce n'est donc qu'une grosse vache mangeuse de popcorn, ou alors aussi avec ce réalisme doublée d'une pauvreté d'imagination qui tue tout mystère et toute fantaisie en rationalisant des choses qui ne devraient pas l'être (les mauvais Nolan par exemple).


Les Wachow, Del Toro, Cameron, ou Cuaron font parti des derniers.
Quand je vois que les jeunes admirent plutôt des tacherons comme Abrams, Whedon, Gunn ou Ratner, ça me laisse dubitatif.
Le public qui ne croit plus au premier degré des histoires qu'on lui raconte, c'est le public de "Scream 4" ou des "Gardiens de la galaxie" plus récemment. C'est le postmodernisme à fond la caisse, c'est le public qui veut de la déconstruction, de l'ironie, de la distanciation, du brisage de quatrième mur, c'est le public qui va aller voir du film d'art martial ou de la série b pour rigoler parce que le succès de Tarantino à rendu ces films un peu hype.
Au passage, tous ces blaireaux ne comprennes pas que Tarantino a un amour sincère pour ces films là mais bon, passons...
On a le cinéma que l'on mérite. Triste époque.


Mais cela étant dit, profitons de ce Jupiter Ascending car au-delà du renouveau tant attendu de la S.F, c’est un film beau et enivrant, dont la générosité et la sincérité dans la démarche est remarquable.
On sort de la salle le souffle court, la bouche ouverte après un final homérique qui enterre définitivement tout ce que Hollywood a produit depuis plusieurs années en matière de grand spectacle avec un brasier apocalyptique d'une rare beauté et des joutes spatiales aux dimensions jamais vues.
En souhaitant concilier le merveilleux et l'universel à leur vision atypique, les Wachowski ouvrent à nouveau la boîte de pandore pour une odyssée vertigineuse qui s’inscrit dans la tradition des contes classiques des frères Grimm ou de Perrault.
Vu le report de date catastrophique de juillet à février (un blockbuster estival ne peut que se ramasser en février) et le peu de buzz que la Warner a fait (j'aurai aimé être là à la première et voir leur tête devant cet ovni sf), peut-être qu’Hollywood est décontenancé par un tel film. Ce qui est sûr, c’est qu’il en a désespérément besoin.
Parce qu’il n'y a rien de plus galvanisant que l’originalité, plus pur que le spirituel, plus précieux que la découverte et plus enivrant que l’inconnu, les cinéastes font plus que jamais honneur à l’adage qui est le leur depuis Matrix, à savoir croire à l’Incroyable.
Comme si par leur croyance inébranlable dans la toute-puissance de l’extraordinaire, un frère et une sœur relançaient à eux seuls l’usine à rêves.

Créée

le 8 févr. 2015

Critique lue 430 fois

2 j'aime

Darkef

Écrit par

Critique lue 430 fois

2

D'autres avis sur Jupiter : Le Destin de l'univers

Jupiter : Le Destin de l'univers
Sergent_Pepper
3

Le destin de l'écran vert

Vous voulez que je vous dise ? Jupiter ne mérite même pas sa place dans les arcanes du blockbuster. Parce qu’en matière de clichés et de recettes à faire figurer à tout prix, en faire la liste et...

le 27 févr. 2015

143 j'aime

30

Jupiter : Le Destin de l'univers
guyness
5

Space apero

A chaque fois qu’un adorable lecteur me demande (car oui, sache-le: tout lecteur de guyness est par définition adorable. Surtout toi, là, maintenant) ce qui continue à me pousser dans les salles...

le 8 févr. 2015

116 j'aime

41

Jupiter : Le Destin de l'univers
real_folk_blues
3

Plat net et des astres cinématographiques

Dites moi que je n'ai pas vu une actrice asiatique coiffée comme une soeur Wachowski sur une moto volante dont les pièces ne sont pas solidaires entre elles. Si c'est ça la définition du baroque SF...

le 13 févr. 2015

103 j'aime

32

Du même critique

Tarzan
Darkef
1

Quenelle de gorille

A la sortie de Swiss Army Man, assez surestimé d'ailleurs, j'avais rien à foutre de ma soirée. Le cinéma dans lequel je vais est un vrai moulin à vent, les vigiles surveillent uniquement les mecs qui...

le 18 juil. 2016

6 j'aime

Chappie
Darkef
3

Réal le plus surcoté du moment !

C'est ça le renouveau de la sf d'action? Ben on est mal barré ...

le 28 mars 2015

3 j'aime