Dire que Jupiter Ascending (aka Le Destin de l’Univers chez nous) est attendu au tournant est un doux euphémisme car chaque projet du duo Wachowski déchaîne à la fois passion des admirateurs comme haine des détracteurs habituels. Et ce nouveau projet, space-opera fantasque invendable que la Warner n’essaie même pas de promouvoir un minimum, n’aidera sûrement pas le duo, tant le projet est sur le fil du rasoir, dans le but même de choquer le spectateur.
Le duo a toujours chercher à bouleverser les petites habitudes du spectateur moyen, assis confortablement avec son seau de pop-corn, tandis que d’autres se contentaient de proposer la même adrénaline de synthèse, inutile et sans le moindre sens. Malheureusement, être à ce point à la marge et proposer des récits tels qu’ils provoquent parfois un rejet immédiat n’a jamais aidé qui que ce soit dans le milieu hautement concurrentiel d’Hollywood. Aujourd’hui la situation est telle que les blockbusters originaux se comptent sur les doigts de la main (quand ils arrivent à sortir en salles) afin d’éponger les probables pertes dues aux budgets titanesques des films. Imaginez alors en 2015 quand sort un space-opera rassemblant en son sein : lézards géants, aristocrates de l’espace, chasseurs de primes mi-robots mi-humains ou encore vaisseaux spatiaux gigantesques sur lesquels se battent des personnages aux oreilles pointues montés sur des bottes gravitationnelles ? Ne partez pas tout de suite, car si cette description peut choquer, ce n’est pas pour autant que Jupiter Ascending doit être sacrifié sur l’autel du bon goût conformiste.
Véritable film de niche, le nouveau projet des Wachowski est d’autant plus rafraîchissant qu’il est rebutant. Démarrant de la plus simple des manière, par une rencontre amoureuse, le duo affirme dès lors son thème de prédilection, à savoir la force symbolique de l’amour comme vecteur d’espoir, qui évoluera en relation transgenre, parallèle évident avec le changement de sexe de l’ancien Larry Wachowski. Une naïveté des plus prégnante dans un parterre de films tous plus terre à terre les uns que les autres que le duo assume, avant de littéralement laisser son film s’exprimer de manière stratosphérique. Visuellement riche et irréprochable sur ses trucages – associés à une 3D des plus réussies – il est clair que les réalisateurs n’ont pas perdus la main lorsqu’il s’agit d’associer virtuosité et frissons. Plans iconiques, ralentis habiles et chorégraphies fort réussies nous rappellent immédiatement que le duo ne nous avait pas offert une telle foire visuelle depuis sa trilogie emblématique, et que les réalisateurs actuels feraient bien d’en prendre de la graine en termes de montage et de rythme.
Mélange hybride de tous ce que la science-fiction a pu nous proposer au cours des dernières décennies, Jupiter Ascending est un projet des plus ambitieux qui mériterait à lui seul sa trilogie tant la mythologie dépeinte – mais effleurée – est probablement aussi dense qu’une certaine saga intergalactique des années soixante-dix. On retrouve d’ailleurs une parenté avec leur trilogie mythique, à travers cette notion de moisson des planètes servant à satisfaire les besoins d’immortalité d’une monarchie minoritaire, chose que la jeune Jupiter (Mila Kunis) découvrira avec effarement comme Neo découvrait la Matrice. Malheureusement, et c’est bien le cœur de cette chronique, le film ne va pas au bout de ses idées. Et il y a fort à parier que la frayeur de la Warner a beaucoup à voir avec cela, car Jupiter Ascending donne cette désagréable et triste impression d’être un projet sacrifié, comme la volonté de se débarrasser de créateurs trop encombrants. Il est évident qu’avec un script original de six-cent pages le projet ne puisse pas aller au fond des choses, obligé de se limiter aux parties essentielles de l’univers et sa narration à une linéarité aux ficelles très visibles, qui permettra à tout détracteur ou spectateur un peu tatillon de se moquer. Sur le fil du rasoir, le scénario n’hésitera pas à assumer ses clichés jusqu’au bout, quitte à dédramatiser son propos mais l’empêchant réellement d’évoluer, embourbé sous les références et les longueurs inutiles. Des choses très rares chez les Wachowski tant la fluidité d’un Cloud Atlas ou la simplicité déconcertante de Speed Racer nous présentait des créateurs en pleine possession de leurs moyens.
On se retrouve alors devant un film maudit, représentation même de la frayeur d’Hollywood et cri de guerre lancé ouvertement envers les tâcherons que sont devenus les Peter Jackson, Christopher Nolan et Marvel de comptoir. Touchant au sublime dans sa réalisation, dans une sorte de melting-pot de ce que les Wachowski ont fait de mieux, le scénario des plus basiques effraiera tout amateur des Wachowski, car pour la première fois en seize ans, le duo semble avoir perdu le contrôle, terrassé par le système, à l’image d’un Terry Gilliam venu faire un caméo, lui aussi marginalisé malgré un fantastique Zero Theorem l’an dernier. Jupiter Ascending est un film fantastique, mais si fantastique qu’il finira de dérouter les derniers courageux, rejoignant alors les rangs des haters prêt à fusiller le couple de réalisateurs.
EDIT APRES SECOND VISIONNAGE :
Ce second visionnage de Jupiter Ascending m'oblige à revoir - un peu - mon jugement, car si le film se trimbale quelques problèmes comme des petites ellipses faciles ou une musique parfois trop présente, il m'importe de dire en quoi ce film doit être défendu et en quoi il touche au sublime. Surtout, en quoi il est presque l'aboutissement du travail des Wachowski.
Jupiter à cette capacité de proposer en seulement deux heures un condensé de SF, emballé dans un carcan populaire et naïf, proche d'un Star Wars en son temps. On y suit une héroïne banale mais tout de suite promise à un destin extraordinaire, chose qu'elle devra appréhender au départ pour ensuite s'ériger en femme libérée, n'acceptant plus la fatalité de son destin. Tout comme dans la trilogie Matrix, on suit la même trame narrative et l'évolution se fait de manière encore plus directe et rapide, tant est si bien que l'on retrouve en un seul film les éléments primordiaux que la trilogie développait sur trois films (l'idée du choix par ex). Et si à l'époque Matrix invitait le spectateur à sortir du confort de son canapé pour l'amener à réfléchir sur sa condition et le pouvoir de l'image sur lui, Jupiter aujourd'hui tente la critique du capitalisme et d'un système qui ne laisse plus place à l'humain. Certes, cela n'est pas nouveau mais l'approche en trois temps du message est finalement plutôt bien disséminé sur toute la bobine, ce qui permet d'appréhender simplement pour tout spectateur un récit d'envergure faisant une analogie avec notre monde moderne.
D'autant que le propos est enrichi par la critique très perceptible du clonage humain et de la propension humaine à s'ériger en tant que Dieu : car si certains pensent que des lézards géants ou des créatures hybrides parlant anglais est choquant, cela est balayé rapidement par le fait que l'humain ne crée et expérimente que dans le but de toujours accroître son pouvoir. Nous sommes donc en face d'un univers des plus cohérent, qui si au premier abord donne le sentiment d'être bien vite expédié, est finalement explicité de la plus claire des manières afin de ne jamais perdre le spectateur.
Mais surtout, Jupiter Ascending est un film qui s'assume, autant qu'une Lana Wachowski se présentant aujourd'hui comme une femme souriante et ambitieuse. A travers le conte de fée, tel que La Belle et La Bête par exemple, les Wachowski expriment l'évolution de leur pensée sur l'humain et sa capacité à accepter les autres. Un propos déjà abordé dans Cloud Atlas sur des générations entières mais ici présent sous la forme d'une relation amoureuse relevant presque du désir animal entre le héros et l'héroïne. Une relation naïve certes, mais qui si on prend la peine de l'analyser est tout simplement brillante, car le duo de réalisateurs ne cherche pas à faire rire ou émouvoir le spectateur mais à simplement lui faire comprendre cette thématique transgenre si peu présente dans le blockbuster hollywoodien. Rajoutons à cela que Jupiter Jones est une héroïne charismatique, qui malgré son rang aristocratique arrive à agir au final comme une Ripley dans Aliens, dans un combat final des plus dantesque.
Tout cela associé évidemment à une réalisation sublime, repoussant encore les limites comme l'avait fait Speed Racer, Jupiter Ascending est probablement le plus grand blockbuster qu'il nous a été donné de voir depuis Speed Racer ou Pacific Rim. Un film tellement riche qu'on lui pardonnerait presque ses défauts.