Bien. Voilà, voilà. Bon... Je suis sincèrement très tenté de reprendre telle quelle l'introduction de ma critique de Cloud Atlas. Ce serait plus simple, on gagnerait tous du temps. Retenons en tout cas deux idées : le public et la critique se plaignent souvent de la qualité des blockbusters, mal fichus, mal écrits, sans imagination, des suites, des remakes, des super-héros, on s'ennuie. Mais, dès qu'une œuvre sort un peu de l'ordinaire, elle est fréquemment conspuée par la critique et ignorée par le public (et inversement). La carrière des Wachowski se résume ainsi depuis qu'ils ont entamé une révolution avec Speed Racer. On en vient d'ailleurs à se demander s'il n'y a pas là un "délit de faciès" envers ces cinéastes, tant le rejet de leur travail ne repose que sur peu d'objectivité. Offrir aussi peu de considération à Jupiter Ascending, comme s'il n'était qu'un énième Transformers ou Fast and Furious, c'est faire preuve d'une vision très étrange du grand spectacle cinématographique.


A tout point de vue, Jupiter Ascending correspond aux critères du blockbuster idéal. Un univers original, certes référencé mais qui n'est ni une suite, ni un remake, ni une adaptation d'un comics, d'un jeu de société, d'une ligne de jouets ou de je ne sais quelle attraction de chez Mickey. Un budget conséquent dont chaque centime est à l'écran : il s'agit d'un des plus beaux blockbusters de ces dernières années. Une musique, signée par le toujours inspiré Michael Giacchino, nettement plus mémorable que les partitions interchangeables habituelles. Des scènes d'action grandioses qui demeurent lisibles et qui ne sombrent dans le syndrome jeu vidéo. Une histoire cousue de fil blanc mais qui suffit à entraîner le spectateur dans deux heures d'amusement pas trop idiot. Des comédiens qui font exactement ce qu'on leur demande, c'est-à-dire être dans la tonalité d'un opéra (d'un "space opera", pour être exact). Et puis l'essentiel : l'émerveillement, l'effet "wow !" qui satisfait les envies ludiques du spectateur, qui sait (théoriquement) exactement ce qu'il vient chercher devant ce film.


En ce sens, les Wachowski sont proches du travail de Tsui Hark : une intense générosité qui leur permet de montrer à chaque film, certes pas toujours pour le meilleur (qu'on se souvienne de Matrix et ses inénarrables suites), des choses qu'on ne verra nulle part ailleurs. On peut concevoir que leur style ne fasse pas l'unanimité auprès du public, ce dernier étant pas définition difficilement enclin à voir ses petites habitudes bousculées. Heureusement, cela arrive, et pourquoi pas pour Jupiter Ascending, qui n'est pas si éloigné de ce que l'on voit habituellement sur nos écrans ? Peut-être faut-il chercher du côté des médias qui, de longue date, ont décrété que le film serait un échec artistique et public. Un sort de plus en plus souvent réservé aux blockbusters "différents" : là encore se rappeler le malheureux John Carter, bien loin d'être le navet souvent décrit ici et là.


Car traiter Jupiter Ascending de nanar et avoir de l'amour (ou au moins de la sympathie) pour Star Wars, Le Seigneur des Anneaux ou, pire, pour la dernière Marvelerie en date, relève d'un choix complètement arbitraire. Rien dans l'œuvre des Wachowski n'appelle particulièrement à la moquerie ou à l'opprobre, sauf si on s'attache à des détails ou à des incohérences tout aussi discutables dans les films cités plus haut. Jupiter Ascending s'élève au-dessus du tout-venant ne serait-ce que d'un point de vue formel. Andy et Lana Wachowski savent tenir une caméra (ce qui, me dira-t-on, est un minimum) mais surtout savent jouer avec, la faire virevolter, la positionner toujours pile là où il faut pour obtenir l'impact maximal. Et cela, par contre, n'est pas donné à tous les techniciens, même les meilleurs, surtout dans la création de films aussi complexes. C'est une science, pas moins : la science du cadrage, la science du montage, la science qui permet de comprendre qui fait quoi et où. A une époque où la frénésie fait office de rythme, Jupiter Ascending rappelle qu'on peut aller vite, très vite, sans faire n'importe quoi, et en restant compréhensible, que ce soit dans ce qu'on montre ou dans ce qu'on raconte.


Mais tout cela apparemment n'est pas suffisant pour certains critiques, qui préfèreront s'arrêter sur des oreilles en plastique, des costumes qui leur déplaisent ou sur l'interprétation (très amusante au demeurant) de Eddie Redmayne. Les détails donc, du même niveau que ceux qui ont jeté Cloud Atlas par la fenêtre pour des histoires de perruques ou de maquillages. C'est aussi absurde que de remiser Green Snake de Tsui Hark dans la poubelle parce qu'il y a des serpents en plastique. Jupiter Ascending n'est pas exempt de défaut et ce n'est pas toujours la faute des Wachowski. Par exemple, on comprend bien que les cinéastes ont voulu faire entrer le maximum de choses en une seule œuvre, se doutant qu'il y avait peu de chances qu'on les laisse faire une suite. Le film est donc très dense, ce qui, finalement, appelle à y revenir, là où tant d'autres blockbusters ont surligné mille fois leurs petits enjeux guère passionnants.


Je ne défends pas Jupiter Ascending uniquement pour le principe d'essayer de préserver les œuvres un peu originales, un peu mieux conçues que la moyenne. Non, j'aime sincèrement le film, et ça reste à chaque fois une bonne surprise, tant, inutile de le rappeler, les Wachowski et moi sommes partis sur un très mauvais pied à l'époque des Matrix. Au contraire, j'avais peur, après le sommet que représente Cloud Atlas, que Jupiter Ascending soit une déception, une tentative mineure de revenir dans le moule hollywoodien. Il n'en est rien, à tout niveau. Le film s'élève au-dessus de la mêlée et offre ce qu'on était en droit d'espérer. Je ne vais certainement pas convaincre les récalcitrants avec aussi peu de mots et d'arguments, mais j'encourage tous ceux, et ils sont nombreux, qui se sont détournés de Jupiter Ascending, à lui donner sa chance, sans a priori, en ayant bien à l'esprit qu'ils vont passer deux heures dans un univers baroque, frénétique et attachant. Il est probable que vous en reviendrez conquis et que vous contribuerez, à votre niveau, à la lente réhabilitation du film. Un travail qui semble être désormais indissociable de la filmographie des Wachowski, dont la postérité tardive sera certainement des plus enviables.

Ed-Wood
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le 15 mai 2015

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