Étonnant que l’année 2015 n’ai pas connu une salve de suicides collectifs parmi les cinéphiles amateurs des pierres angulaires de la science-fiction que sont Terminator; Star Wars et Jurassic Park, au vu du traitement donné à chacun pour leurs comebacks sur grand écran.
Alors que la franchise imaginée par James Cameron s’apparentait plutôt à une sorte de parodie franchement pas drôle enterrant le mythique androïde et son interprète de toujours six pieds sous terre, et que Le Réveil de la Force était un doigt d’honneur à toute idée d’ambition artistique qui jouait à fond la carte de la nostalgie sans rien d’autre, eh bien Jurassic World va faire l’exploit d’être encore plus mauvais et jusqu’au-boutiste dans sa démarche de prendre le public pour un con.
Réalisé par Colin Trevorrow (retenez bien son nom, il ne servira à rien pour plus tard) et faisant suite à Jurassic Park III, que je ne peux m’empêcher de bien aimer malgré la réputation merdique qu’il se coltine, Jurassic World se paie Steven Spielberg à la production... ce qui équivaut à pas de Spielberg du tout dans ce cas précis.
Armé d’un spitch plutôt alléchant, à savoir le fameux parc de dinosaures enfin ouvert au public, le film, qui avait éveillé le garçon qui sommeille en nous dans une première bande-annonce forte de promesses, se viande dès les premières minutes, lorsqu’on s’aperçoit qu’on a à faire à un blockbuster uniquement calibré pour atteindre le milliard au box-office, qui n’a aucune patte artistique et qui ne dégage aucune émotion, et qui arrive à nous faire regretter les choix scénaristiques douteux du Monde Perdu et le caractère banal du troisième film de la saga signé Joe Johnston.
Ce côté «film d’exploitation à bénéfice rapide» est renforcé par un casting tout ce qu’il y a de plus insipide et caricatural jusque dans les moindres détails. Entre un Chris Pratt inexpressif, blagueur au début mais qui voit son personnage abandonner cette première voie et se transformer en peu de temps en un Indiana Jones du jurassique sans transition ni cohérence, une Bryce Dallas Howard représentant le cliché agaçant de la demoiselle en détresse se baladant en talons hauts en pleine jungle et juste ici pour faire joli, et un Omar Sy sur commande pour représenter l’hexagone : quelques mots, un sourire et puis voilà. Oh merde, il n’a pas rigolé, tant pis.
Mais la palme revient aux deux enfants, antithèse totale des deux jeunes héros du premier Jurassic Park, n’insufflant aucune émotion, aucune empathie, le jeune étant aussi exploité qu’un buisson dans un film de Terrence Malick et le plus grand la personnification de l’adolescent tête à claques insupportable.
Alors que le premier Jurassic Park était un poids lourd dans l’art de manier les émotions des spectateurs et de le faire frissonner, les rendant aussi émerveillés, ou horrifiés que Sam Neil, Jeff Goldblum, Laura Dern ou les enfants devant les dinosaures, Jurassic World prend le contre-pied en délivrant un divertissement abrutissant sans la moindre étincelle d’authenticité ni d’humanité. L’humour est un humour type étudié à l’avance, presque forcé (où est Sam Neil qui fait semblant de s’électrocuter ? Ça c’était drôle !) et il manque une spontanéité aux personnages, du fait qu’ils sont caricaturaux et que leur prestation paraît calculée.
Aucune émotion donc, malgré les partitions d’un John Williams qui reprend ses thèmes fédérateurs sans innover.
Non satisfait d’être seulement une trahison monumentale au classique de Spielberg et les idées qu’il véhiculait (on verra ça plus bas), Jurassic World est tout aussi alarmant d’un point de vue psychanalytique et social, c’est la personnification d’un fossé générationnel abyssal entre deux publics diamétralement opposés possédant chacun des attentes complètement différentes et au milieu la manière qu’a le cinéma d’aborder ces publics à travers le temps.
Car si en 1993 miser sur l’émerveillement d’un spectateur découvrant avec stupéfaction des dinosaures au réalisme quasi-parfait (ils le sont toujours plus de 20 ans après !), servi avec des acteurs excellents et impliqués et le tout auréolé d’une bande-originale sublime collant parfaitement avec le reste, en 2015 il semblerait que ce ne soit devenu plus assez. Pire encore, que le spectateur soit devenu tellement saturé à force de consommer des productions dégueulasses et impersonnelles qu'il n'est plus capable d'apprécier ce qui faisait la magie du premier volet, c'est-à-dire une simple démarche d’aventure et d’émotion.
Exit donc la patte Spielberg, et sa manière unique et si spéciale de capter l’émerveillement, l’horreur ou l’étonnement de ses personnages et balancer ces sentiments à la tronche d’un public qui s'évade dans un autre monde, ici on est face à du fast-food hollywoodien typique, con comme la lune, sans subtilité et monstrueusement cynique, qui nous balance sous une bouillabaisse d’effets visuels (qui ne révolutionnent rien au niveau technique) un méli-mélo entre Transformers, Godzilla et le plus mauvais des Fast and Furious. A savoir un cocktail d’action décérébré, avec son lot d’incohérences monumentales à faire pleurer (qui feraient passer le premier Jurassic Park pour un documentaire ARTE), ses combats dégénérés entre grosses bébêtes, et ses choses bizarres génétiquement modifiées qui rappellent encore l'image dégueulasse que l'industrie cinématographique se fait du public.
Se fichant royalement des tirades philosophiques de Ian Malcolm et de la morale des premiers films, Jurassic World nous offre un discours insolent, présomptueux et abrutissant sur la supériorité de l’homme sur la nature. Entre des Raptors domestiqués pareils à une tripotée de Jacquouilles qui attentent leur becquée et un T-Rex semblable à un Superman reptilien par ses actions salvatrices, ce film est un reniement de tout ce qui faisait le charme du premier volet, à savoir la petitesse de l’humain face à une nature infiniment plus ancienne et plus grande que lui, et sa déchéance lorsqu’il tente de la contrôler avec opportunisme sans en redouter les conséquences.
L’exemple du T-Rex est le plus frappant, là où son apparition à la fin de Jurassic Park tenait plutôt du hasard (la fameuse "eucatastrophe" de Tolkien) et avait un véritable sens quant à l’infime part que représente l’humanité dans l’histoire évolutive de notre planète, il apparaît dans le film de 2015 tel un héros apprivoisé par l’homme (et en passant incapable de bouffer cette foutue femme qui court devant lui avec des talons hauts !), représentant une nature que l’humain, dans sa puissance sans limites et sa volonté de dominer toute vie en ce monde, a réussi à domestiquer et à utiliser pour assurer sa pérennité, ce qui détruit toute la portée symbolique du message du premier film.
Plus qu’un mauvais film, Jurassic World est une succession de clichés hollywoodiens sans saveur et un parangon royal de nullité sur tous les points. Une proclamation confinant à l’endoctrinement culturel glorifiant un Hollywood puissant et fier de son caractère mercantile, utilisant la carte hypocrite de la nostalgie et la notoriété d’un nom vendeur pour attirer le spectateur dans les salles obscures sans lui offrir la magie qu’il espérait en retour. C’est la preuve vivante que la nullité peut-être récompensée, voir même idéalisée, car sous ses airs de film intouchable car milliardaire, ce quatrième tome de la franchise n’est rien d’autre qu’un nanar à gros budget qui ne s’assume pas.
Et en jetant un œil aux derniers Star Wars, Terminator ou encore aux productions super-héroïques fades et rébarbatives qui sortent à la pelle, on constate avec horreur que cette tendance nanardesque se démocratise de plus en plus au sein du septième art, quitte à pisser sur le spectateur et lui faire croire qu’il pleut, comme le dirait Sigourney Weaver dans Avatar, un film d'ailleurs encore plus haï et diffamé que celui de la présente critique, mais loin d'être aussi cynique et fallacieux que ce retour chez les dinosaures, la preuve en critique.