A l'âge de huit ans, confortablement installé dans une salle de cinéma, j'ai assisté, médusé, à un véritable petit miracle. Sous mes yeux ébahis, se mouvait avec un mélange de grâce et de force tranquille une créature disparue depuis des millions d'années. Un être magnifique, une puissance de la nature qui reprenait vie pour mon plus grand bonheur. Un instant de pure poésie, de douce rêverie enfantine, qu'accompagnait l'exaltante partition d'un John Williams au sommet de son art, et qui me laissait avec le même sourire extatique que les personnages au moment où la symphonie atteignait son apothéose et nous dévoilait un paisible troupeau savourant une tranquillité bien éphémère au bord d'un lac scintillant. Le genre de souvenir cher au coeur d'un grand gamin qui ne peut s'empêcher de frisonner à la simple évocation de cet instant suspendu dans le temps.
Vingt-deux ans plus tard, on me propose de revivre ce fabuleux évènement, on m'offre la possibilité de franchir à nouveau les portes de ce parc mythique. Pour me faire plaisir ? Peut-être. Pour remplir les caisses ? Sûrement, mais c'était de toute façon déjà le cas lors de ma première visite, ce qui n'a pas empêché la magie de se produire. Pour me mettre en condition, pour faire vibrer la corde sensible de la nostalgie, on me caresse dans le sens du poil, on me lance de gros clins d'oeil appuyés, on ressort même les notes de Williams. Mais n'importe comment, sans aucun rythme, sur n'importe quelles images, tel une mécanique trop bien huilée.
A l'instar de Scream 4, Jurassic World a conscience dès ses premiers instants de sa nature ingrate de suite tardive. Tout au long des deux heures de projection, il ne va cesser de regretter l'air blasé de spectateurs trop longtemps abreuvés de produits manufacturés où le pognon et la surenchère ont remplacé toute spontanéité, toute émotion, toute magie. Et comme le film de Wes Craven, il ne va strictement pas dévier de cette ligne, de cette direction calibrée, ne va rien proposer d'autres qu'une pâle copie du film originel.
Un discours hypocrite (comme si avouer faire de la merde en réduisait la puanteur), doublé d'un propos allant totalement à l'encontre de ce que voulait faire passer le chef-d'oeuvre de Steven Spielberg, la nature fatalement indomptable du premier volet trouvant finalement le moyen bien pratique de s'adapter aux exigences d'un script se contentant de calquer laborieusement les morceaux de bravoure vus il y a plus de vingt ans.
Confié en dépit du bon sens à l'inconnu Colin Trevorrow (qui n'avait comme véritable fait d'arme que la comédie indé Safety not Guaranteed), Jurassic World peine tout du long à susciter la moindre tension, le moindre émerveillement, enchaînant les séquences machinalement et filmant son bestiaire sans jamais chercher à l'iconiser un minimum. Sans être catastrophique, la mise en scène est fade, sans relief ni personnalité, laissant les effets visuels faire le boulot.
Jamais spectaculaire car d'une banalité affligeante, dénué de la plus petite envergure, Jurassic World foire également sa galerie de personnages, pourtant essentielle à la réussite du premier volet. Ils ne sont ici que caricatures, clichés ambulants, pantins déshumanisés et assommants qu'un casting sympathique sur le papier ne peut transcender. Les deux gamins sont insupportables, Chris Pratt ne joue rien, Bryce Dallas Howard se contente de courir en ouvrant bien grand les yeux, Vincent D'Onofrio fait peine à voir et Omar Sy, visiblement sabré au montage, vient faire un petit coucou ici et là.
S'achevant sur un dernier quart d'heure d'une connerie abyssale qui en deviendrait presque drôle si le tout n'était pas aussi hypocrite et paresseux, Jurassic World n'est finalement qu'une production calibrée de plus dont je n'aurais retenu qu'une relative violence étonnante pour ce genre de blockbuster grand public, un produit manufacturé dont l'objectif est de pomper l'oseille du spectateur en brandissant la bannière de la nostalgie, sans jamais lui offrir le spectacle promis en retour.