Il y a quelque chose d'absolument fabuleux dans le "Jurassic World" de Juan Antonio Bayona. Quelque chose que l'on a tendance à oublier. Et cette petite chose qui en change bien des grandes, c'est la lutte d'un réalisateur impliqué dans un système fermé à double tour. Chez Universal, la franchise Reine est la réimplantation du dinosaure dans un monde contemporain. Un doux rêve pour les gosses. Lorsque Spielberg laisse son formidable diptyque aux mains de Joe Johnston en 2001, ce dernier se retrouve piégé. Aucunes portes de sortie pour amener un concept ou des idées novatrices. Le réalisateur de "E.T." a bouclé sa saga avec fracas en envoyant un T-Rex dans les rues de San Diego. Quoi de plus simple pour "Johnston" (et ce malgré les multiples problèmes de production) que de concentrer ses efforts sur un film d'aventures à l'ancienne sans discours sur le capitalisme et affichant sans honte une micro-durée de 90 mn. Un ride que n'auraient pas reniés les artisans des années soixante comme Jack Arnold ou Don Chaffey.
Plus complexe est la tâche de Bayona qui se retrouve avec une terre en friche. Les 1,6 Milliards amassés par le "Jurassic World" de Colin Trevorrow sont autant une bénédiction pour l'économie du divertissement qu'un caillou dans la godasse pour le repreneur. Mais le réalisateur Espagnol est joueur et très amoureux de l'original sorti en 1993. Imaginez alors, pour lui, le défi que peut représenter le second volet d'une franchise cadenassée par un cahier des charges gros comme un annuaire. Dans cette mesure, Bayona va littéralement composer avec un crêve-coeur de 120 mn alternant la mécanique grossière du Blockbuster et les choix passionnants d'un artiste intègre en pleine lutte pour maintenir son projet à flot.
Adoptant une structure en one shot des plus basiques "Fallen Kingdom" emprunte autant à celle de "The Lost World" de Spielberg qu'au "Jurassic World" de Trevorrow empruntait à "Jurassic Park". Ce cinquième volet démarre par un prologue voyant un sous-marin de poche draguer les fonds marins à la recherche des ossements de L'indominus Rex. Habile dans sa volonté de déplacer l'hostilité dans l'élément liquide, la séquence ne sera que plus frustrante lorsqu'elle reprendra ses droits sur la terre ferme de nuit sous une pluie battante . Un choix qui met d'emblée le spectateur un tantinet exigeant en déséquilibre arrière. Impression renforcée par une longue suite de scènes d'exposition. A cette allure, Bayona, l'homme providentiel se fond dans le moule du divertissement pâteux sans jamais faire montre du moindre intérêt pour son matériau.
"Fallen Kingdom" ne fascine pas mais il secrète une enzyme capable de ronger la routine du blockbuster. Le réalisateur de "L'Orphelinat" ne se contentera pas de composer ses plans avec des animatics comme le film précédent mais de retrouver l'essence de la mise en scène. La longue séquence de fuite de Isla Nublar constitue pour Bayona une manière très personnelle de concevoir son projet. Le dinosaure ne sera plus l'élément qui capitalisera l'attention, il fera partie intégrante d'un film d'action. D'où la nuance : "Un film AVEC des dinosaures et non plus UN film de dinosaures." Dans un cas comme celui-ci, le regard du metteur en scène espagnol fait pencher la balance du bon côté. Il suffit d'exploiter les créatures dans des environnements divers ou de les confronter à une nature en plein changement. L'idée de réactiver le volcan de Isla Nublar permet de mettre en scène à une moindre échelle le cataclysme qui a décimé les espèces. Ainsi Bayona joue sur les textures et l'opposition chaleur de la lave et froideur des océans. Un spectre des sensations écartelé à 180° pour une implication plus importante du spectateur.
Mais s'il fallait retenir un dernier effort, c'est la fantastique greffe de deux univers en apparence opposée. Le film de monstres et l'emprunte gothique incarnée par un manoir en pierre grise. Une demeure à fantasmes reflet de tout un pan du cinéma fantastique allant de Robert Wise jusqu'aux Universal Monsters. Une tradition pour le studio à la Planète bleue qui offre au réalisateur Catalan le soin de signer les 20 dernières minutes les plus exaltantes depuis belle lurette. Une dernière bobine qui met en lumière un dinosaure aux dents proéminentes capable d'escalader les parois les plus lisses. Une incarnation parfaite du fantasme horrifique hybride du Dracula de Bram Stoker et de l'Alien de Ridley Scott et cauchemar absolu pour l'enfant qui est en nous.
Mais envoyer balader les conventions ne suffiront pas à faire de "Fallen Kingdom" un bon film. Le travail de Bayona aura au moins permis d'établir un pont entre ce volet et "A monster calls", l'enfant et ses peurs restants au coeur de son cinéma. Et l'on se prend à rêver de ce qu'aurait pu devenir cet opus si l'emprise du réalisateur avait été totale. Ce "Jurassic World", c'est un peu comme si Universal avait planté des fleurs dans une belle bouse.
"The Lost World" Versus "Fallen Kingdom" c'est ici
https://www.senscritique.com/film/Le_Monde_Perdu_Jurassic_Park/critique/55469464