Justin est triste ce soir là attablé dans un bar devant un verre de whisky qu'il laisse intact.
Il pleut des cordes, il rentre chez lui, freine brutalement après un choc... un cerf a sans doute traversé la route. Quelques instants plus tôt, il a assisté à l'altercation violente entre un couple dont le garçon semblait très virulent et la fille très éméchée. Nous apprendrons beaucoup plus tard la raison de la tristesse de Justin. Une année passe et nous le retrouvons chez lui, désolé d'avoir été choisi pour être juré dans un procès d'assise. Sa femme enceinte et proche du terme craint d'être seule pour vivre les derniers jours de cette grossesse à risque, seule aussi au moment de l'accouchement. Malgré ses réticences, il n'est pas récusé et devient le juré numéro 2. Rapidement il comprend que l'homme qu'il aura à juger est précisément celui qui se disputait avec sa compagne un an plus tôt et que ce n'est peut-être pas un cerf qui a traversé la route ce jour là (je ne spoile rien, tout est dit dans le synopsis officiel et la bande-annonce... dommage).
Un film de procès. Il faut aimer le genre peut-être pour apprécier celui-ci qui entrera sans doute dans la catégorie des excellents films de procès et qui n'est pas sans rappeler à quelques moments les Douze hommes en colère du grand Sidney Lumet. En tout cas, on sort du film, d'abord ravi de constater que le vétéran du cinéma en a encore sous la semelle car il ne se contente pas de réaliser un film de procès avec verdict final sans appel. Il fait également en sorte que l'on quitte la salle avec pas mal d'interrogations car le dilemme moral auquel se confronte Justin éveille chez le spectateur moult questions. Il est ici question de justice, de vérité, de culpabilité, de moralité aussi et le réalisateur sait qu'on ne peut trancher aisément. Toutes ces questions emballées dans un film que l'on jugera "classique", c'est-à-dire sans fioritures ni effets de manches mais incroyablement efficace et ambigu tant les options offertes au personnage principal sont complexes. Le film est également très beau visuellement ; lumières, cadrages, interprétation, tout est parfait. On retrouve le charme de Savannah la ville dans laquelle il avait tourné le formidable Minuit dans le jardin du bien et du mal mais aussi le savoir faire d'un homme qui sait toujours nous raconter une histoire. Les allers retours entre le passé proche, le présent, la soirée d'ouverture, la vie privée de Justin et ses petits arrangements avec sa conscience, les séquences de procès et des délibérations sont intégrés dans un montage sans faute qui jamais ne nous perd mais au contraire nous fournit peu à peu de nouveaux éléments de réflexion. Quant aux nombreux personnages, ils sont parfaitement incarnés et Clint distille peu à peu des éléments de la biographie des uns et des autres. C'est vraiment très subtil. Chaque juré, convaincu de la culpabilité de l'accusé n'a qu'une idée en tête : rentrer chez lui. A peu près personne n'a envie d'être là et souhaite se débarrasser au plus vite de sa tache et régler son compte à cet homme qui a tout du coupable idéal, jusqu'à un tatouage dans le cou, preuve accablante supplémentaire ! Et puis il y a l'arrivée d'une nouvelle jurée (pour une raison que je vous laisse découvrir), accro aux séries judiciaires, cette femme simple assène cette observation : le criminel idéal que tout accuse n'est jamais le coupable.
Dans le rôle du juré qui s'interroge et peu à peu se consume sous nos yeux, Clint Eastwood a choisi Nicholas Hoult. Je reconnais que je redoutais ce choix avant d'avoir vu le film. Le garçon ayant jusqu'ici peu imprimé la pellicule de son charisme. Ici, il est parfait. Avec sa tête de premier de la classe, il met toute son énergie à tenter de démontrer l'innocence du prévenu. L'acteur joue parfaitement l'ambiguïté entre cet humanisme présumé et un égoïsme désespéré qui le force à mentir, car révéler ce qu'il sait, ce qui l'implique, ruinerait sa vie. Le tour de force est que l'on s'identifie et qu'on lui trouve toutes les excuses possibles jusqu'à ce qu'apparaisse l'inculpé avec son physique de bad boy et sa brutalité mais qui sait qu'il n'aurait jamais frappé une femme, SA femme. Et nous aussi, spectateurs, nous savons. Le vertige est total.
Face à ce juré, se trouve la procureure (Toni Colette) elle aussi comme les autres jurés, convaincue de la culpabilité de l'accusé dont la condamnation la servirait parfaitement puisqu'elle est en pleine campagne pour sa réélection. Là encore, le personnage (sanglé dans des tailleurs cousus sur elle d'une fadeur exceptionnelle, mais c'est cela le chic paraît-il) évolue grâce à un retournement de situation (un peu tiré par les cheveux mais pas improbable) qui la fait également se questionner et s'investir dans l'étude de certains détails mis au jour par un autre juré (J.K. Simmons) particulièrement perspicace.
Ce Juré N° 2 est loin d'être le film de trop, le film bâclé, crépusculaire ou testamentaire. Il est au contraire d'une impressionnante vitalité et une véritable démonstration de savoir faire dans un genre que le réalisateur avait déjà un peu abordé dans Jugé coupable.
J'avais lu que Clint affirmait lui-même que ce film serait son dernier (inutile de l'enterrer pour cause de sénilité), j'étais triste. Et puis aujourd'hui même je découvre ceci : "Calmez-vous les enfants, je n'ai jamais dit que je prendrai ma retraite".
Je suis joie et franchement, TANT MIEUX s'il continue, car il est rare de réussir qu'un film nous emmène ainsi, progressivement vers des abîmes et le vertige de la réflexion : que ferais-je si... ?
Le film ne cesse de se renouveler à mesure qu'il avance pour se conclure de la façon la plus inattendue qui soit. Chapeau.