Je n'évoquerais pas l'intrigue du film, bien que de mauvaises bouches vous diront que le scénario est prévisible et tombe vite à l'eau; je conseille plutôt d'y aller en sachant le moins du synopsis.
Je ne pense pas me tromper en affirmant que les "films de procès" sont à la mode depuis un certain temps. Clint Eastwood, du haut de ses 94 ans, nous offre sa version du "genre".
Je dis bien "genre", car le film de procès multiplie les redites et s'inscrit dans des codes bien précis. Les films de procès ont tendance à s'écrire et se scénariser d'une façon assez homogène pour en faire ressortir des codes (qui je précise, ne sont pas des commandements gravés dans la roche, ni observés dans tous les films), que le spectateur habitué à ce type de cinéma, s'attend à retrouver : un rapport ambiguë à la vérité, des doutes sur la véracité du verdict, des joutes verbales entre procureur et avocat, du faux-semblant, des analyses de personnages à travers la position d'accusé, une volonté de se rapprocher du réel en mimant la tournure des procès, le quasi huis-clos...
Dans le commentaire des films de procès, j'ai souvent lu le qualificatif "d'anti spectaculaire" mais à mon sens, la forme de modération que l'on attribue à ces films, dû au fait qu'ils sont obligés de mimer les procès, et donc des procédures très normées et strictes du réel, est fausse. Les films de procès reprennent, en général, les codes cités plus haut, et viennent alors leur donner une forme théâtrale. Un film de procès devient un terrain de jeu pour frimer sur sa "performance" d'acteurs, savourer les clashs, tirades et monologues de l'avocat, du procureur, ou, dans une version plus lamentée, les paroles de l'accusé. Ces films orchestrent le suspense et font frémir le spectateur incapable de trancher sur la vérité, encore plus lorsqu'il sait qu'un rebondissement guette l'affaire et pourrait altérer le point de vue sur l'affaire jugée. Lorsqu'un film est aussi théâtral, naturellement, il revient sur ce qu'est le théâtre : un spectacle.
Pourquoi exposer cette brève analyse, dans le cas de Juré n°2 ? Parce que Juré n°2 innove dans ses thématiques et le fond de son propos ? Non. Parce que Clint Eastwood a eu la sagesse d'amener son sujet à travers un point de vue original, doublé d'une volonté de s'écarter de la majorité des codes du film de procès. Une liste d'exemples sera plus parlant qu'un long développement :
-Vous souhaitiez vos joutes verbales chéries entre l'avocat et le procureur ? Raté. Ici, les deux sont amis qui boivent des coups ensemble et se complémentent dans le travail. Le cadre n'ira jamais les opposer pendant les procès; Clint Eastwood préférant un montage, ou parfois, les discours se juxtaposent assez pour n'en former qu'un.
-Un accusé tumultueux, une étude de personnage approfondi sur son cas, une figure marquante dont vous n'oublierez pas le visage ? Non plus, il ne sera limité qu'à ses fonctions dans l'intrigue, mais la manière dont le personnage de l'accusé s'insère dans l'histoire
-Des rebondissements, une ambiguïté sur les faits, une vérité à questionner ? Coup manqué, puisque le montage livre au spectateur toute la vérité, et que le scénario est tracé d'avance, jusqu'au moment final, redouté depuis le début du film.
-Une longue enquête haletante ? En partie, sauf qu'ici, l'enquête ne servira qu'à se rapprocher de l'échéance redoutée.
-La fameuse performance d'acteur ? Le talent des comédiens de théâtre ? Hélas, pour les défenseurs du "jeu" d'acteur (ces mêmes défenseurs qui ne sauront jamais définir avec rationalité et précision ce qu'est un bon acteur), notre protagoniste sera constamment dans la retenue; et à force de tirer la même expression, il glace le sang du spectateur.
-Une longue audience ? Elle doit occuper qu'une moitié de film, le reste étant partagé entre des sauts dans le passé, des scènes en extérieur et les débats entre les jurés. D'ailleurs, le rapprochement avec 12 hommes en colère n'est qu'une façade. Ce n'est pas parce qu'un film est un huis clos en 1v11 qu'il en est une nouvelle version, puisque dans le film culte, il est question de la production d'un consensus, qui, si possible, puisse être rationnel; dans un cadre ou personne ne connait la vérité. Or, dans Juré n°2, le spectateur et notre protagoniste connaissent la vérité, et la recherche du consensus sur le mode de seul contre tous, suite des logiques
Qu'est-ce qu'il reste, au bout du compte ? Un film qui assume un parti pris très fort, en épousant pleinement le point de vue d'un juré dans une situation extraordinaire, ou le spectateur connait toute la vérité sur l'affaire depuis le début, et qui va le confronter à une ambiguïté morale, non pas sur le voile d'ignorance intrinsèque à la justice, mais sur la façon dont scénario et montage, vont dévoiler l'ambivalence morale d'un juré. Ceci, il le fait d'une Clint Eastwoodienne, laissant de côté les éléments que j'évoquais au début de cette critique; or notre grand réalisateur parvient à prendre du recul sur son cinéma.
Nous suivons toujours un protagoniste particulièrement caractérisé, ce goût pour nous plonger dans des situations injustes, un scénario ou il est difficile de condamner complètement le personnage. Mais contrairement à d'autres de ses films, Clint Eastwood fera preuve de beaucoup plus de retenue, puisqu'il n'écrira pas de rebondissements, pas de scénario en grandes pompes, ni d'un grand climax, ou de scènes lacrymales. Autrement, il préfère une forme d'amertume constante, une déprime planante, et a aucun moment, ces aspects aboutiront de façon explosive. De cette façon, et en parallèle du choix de divulguer toute la vérité très tôt, Juré n°2 assume un parti pris très fort : nous plonger dans un dilemme moral, ou la seule réponse est de repousser le plus longtemps possible, l'unique option qui s'offre au personnage.
Clint Eastwood prouve qu'il est capable de toujours livrer un cinéma innovant pour sa filmographie, et qu'après toutes ses années, il continue de se réinventer, dans un ultime film au regard fascinant.