À 94 ans, Clint Eastwood rappelle à quel point il sait encore être d’une virtuosité avec ce grand thriller judiciaire et moral. Grâce à une direction d’acteurs remarquable, le grand maître américain propose ce qu’il y a de plus haletant à l’écran en ce moment.
Justin Kemp est choisi comme juré aux côtés d'autres citoyens pour un procès de meurtre hautement médiatisé. Ce père de famille se retrouve rapidement confronté à un dilemme moral aigu lorsqu'il découvre qu'il est l’auteur du crime. Doit-il se protéger ou se livrer ?
Dans la lignée des nombreux films judiciaires sortis ces dernières années, Clint Eastwood se distingue en faisant de son procès une sorte de puzzle mental où les récits des témoins mis en image se mélangent aux projections mentales du personnage. En effet, le point de vue de chaque personnage clé en contredit un autre, tout en l’enrichissant. Ce puzzle mental donne aux spectateurs une longueur d’avance sur la justice, créant un suspense très efficace.
La critique du journal Libération reprochait au film son scénario "cousu de fil blanc" — un juré assistant au procès d’un crime qu’il a lui-même commis. Mais le cinéma, c’est aussi cela : nous offrir des histoires invraisemblables, ou du moins, statistiquement improbables si cela sert le récit et le propos du metteur en scène. L’idée d’un juré jugé par sa propre conscience relève d’une ingéniosité dramatique indéniable. Ce que Clint Eastwood propose dans Juré n°2, c’est un thriller moral au sens le plus pur, qui interroge les frontières floues entre le bien et le mal, ainsi que le conflit entre l’instinct de survie et la conscience.
Le personnage doit-il révéler la vérité au nom du bien ? Sa compagne vit actuellement une grossesse à risque, d’autant que l’accusé a le profil idéal : un ancien dealer et conjoint violent. Ce conflit intérieur est avant tout un conflit d’intérêts. L’intérêt du bien commun contre l’intérêt personnel. Ce conflit d’intérêts touche aussi la procureure en pleine campagne pour sa réélection, qu’elle mène sur une ligne sécuritaire très stricte et sur laquelle l’issue du procès aura un impact. Le verdict doit conforter sa politique. Mais les affaires judiciaires sont toujours plus complexes qu’elles n’en ont l’air.
Bien que le film soit formellement classique, il se distingue par le brio de son montage, sec et efficace. Le séquençage impressionne par sa rigueur : une première partie consacrée au procès, une seconde partie axée sur les délibérations complexes des jurés — où le protagoniste tente de soulager sa conscience, rappelant 12 hommes en colère de Sidney Lumet (Eastwood n’a d’ailleurs pas à rougir de la comparaison) —, et une troisième partie qui laisse davantage place à l’intime. Cette structure et ce montage soulignent les divers intérêts en jeu, interagissant avec la conscience du héros.
Sans exagération, j’ai rarement vu une direction d’acteurs aussi puissante à l’écran ces derniers temps. Nicholas Hoult, habituellement un peu fade, incarne à la perfection l’agitation de la conscience de son personnage. Derrière son apparence de gendre idéal, on sent l’homme tourmenté. Quant à Toni Collette, elle est tout simplement magistrale. Son interprétation épouse l’ambiguïté de son personnage, sans excès : tantôt rigide comme la justice, tantôt prête à fléchir.
Pour comprendre le génie de ce film et de son réalisateur, il suffit de regarder la dernière scène dont on essaiera d’en dire le moins possible — chose ardue tant elle est brillante dans son ambiguïté. On ne sait pas vraiment dire si elle est réelle ou le fruit de l’imagination du personnage, comme si sa conscience toquait à nouveau à sa porte pour une piqûre de rappel.
En choisissant un sujet qui mêle à la fois un thriller judiciaire et un dilemme moral, Eastwood parvient à raviver l’intérêt pour le film de procès classique en l'insérant dans une narration complexe et minutieusement construite. Magistral !