Juré n°2
6.7
Juré n°2

Film de Clint Eastwood (2024)

Finalement, une sacrée pub pour la sécurité routière

Cela faisait un moment que je n’avais pas vu un film de Clint Eastwood, et je dois avouer que j’y suis allée à reculons. En sortant de la salle, je n’étais pas franchement convaincue, avec une impression assez molle du film. Avec un peu de recul, Juré n°2 soulève des questions sur la justice, les préjugés et le droit au bonheur, mais semble refuser de les organiser ou de leur donner une direction claire, ce qui pour moi s’avère très frustrant.

L’intrigue repose sur un dilemme révélé dès le début : Justin Kemp, membre d’un jury populaire, se rend compte qu’il est l’auteur du crime pour lequel un homme est accusé. Il doit choisir entre condamner un innocent pour préserver sa propre vie ou se dénoncer au risque de tout perdre. Le film navigue entre thriller, drame et film de procès, mais joue finalement peu sur la tension pour se concentrer sur les zones grises.

D’un côté, il y a la justice institutionnelle, celle qui garantit l’égalité dans un état de droit et le contrat social qui le cimente. Mais Juré n°2 montre combien ce système peut être "cassé", biaisé par des préjugés et des jugements préventifs. L’accusé n’a pas de preuves irréfutables contre lui, mais son passé suffit à le placer sous une suspicion presque automatique. On condamne non pas ce qu’il a fait, mais ce qu’il pourrait faire. Une justice préventive à la Minority Report, où on lui refuse une seconde chance. De l’autre, il y a la justice individuelle, incarnée par Justin Kemp. Cet homme, marqué par un passé d’alcoolisme et de drames familiaux, pense avoir "gagné" son droit au bonheur alors qu’il s’apprête à devenir père. Mais ce bonheur repose sur une injustice : la condamnation d’un innocent. Kemp incarne une tension universelle entre l’individu et la société : comment décider qui « mérite » une seconde chance ? Cette réflexion sur la justice s’entrelace avec la morale chrétienne qui traverse l’œuvre d’Eastwood. Justin Kemp est un homme en quête de rédemption, et son dilemme moral rappelle des notions fondamentales comme le pardon, la miséricorde et le poids des fautes passées. On sent également une tension entre le devoir de vérité et l’amour sacrificiel : Kemp veut protéger sa famille coûte que coûte, mais à quel prix ?

Malgré ces thématiques puissantes, le film peine à transmettre une vision forte. À plusieurs reprises, j’ai eu l’impression d’être face à un "bac à sable" cinématographique : tout est là, des thématiques profondes aux dilemmes moraux complexes, des personnages nuancés, mais sans cohésion. "Débrouillez-vous," semble dire le réalisateur. Une approche qui peut séduire certains, mais qui, pour ma part, m’a laissée sur ma faim. Cette neutralité est également visible dans la réalisation. Propre, fonctionnelle, mais sans éclat, elle semble délibérément effacée. Là où Eastwood a souvent su imprégner ses films d’une vision forte, Juré n°2 adopte une esthétique plate, presque aseptisée. Cela prive le film d’une véritable signature visuelle, certains moments frôlant l’aspect « plateforme » très codifié.

Et puis, il est difficile de ne pas mentionner les parallèles avec 12 hommes en colère. Le huis clos du jury, les arguments qui s’opposent, le suspense des délibérations… Les deux films ne sont pas identiques, mais la comparaison est inévitable, et elle ne joue pas en faveur de Juré n°2. Là où le film de Sidney Lumet brillait par sa clarté et sa force argumentative, Eastwood s’embourbe dans trop de thématiques inachevées. Nicholas Hoult n’a pas le charisme ou la force de persuasion du personnage d’Henry Fonda. Son dilemme est davantage personnel que sociétal, et son incapacité à argumenter (sans révéler le pot aux roses) fait tourner le jury en rond.

Même si je n’ai pas toujours apprécié les œuvres d’Eastwood, elles semblaient plus engagées. Juré n°2 explore des thématiques déjà abordées par le réalisateur, mais le désengagement de ce dernier dans la tonalité, ou encore la résolution, m’a personnellement frustrée. L’ensemble (pas que la fin) est pour moi trop ouvert pour provoquer une vraie discussion, ça manque de structure. C’est d’ailleurs pour cela que le film bénéficie d’une prise de recul, d’une intellectualisation des thèmes qu’il aborde. Eastwood livre donc un film rationnel, non dénué d’intérêt, mais qui par sa nature même manque de cœur.

AlicePerron1
5
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le 31 déc. 2024

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Alice Perron

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