Avant même la date de sa sortie, "Jusqu'à la garde" était labellisé chef d'oeuvre par la quasi totalité de la presse. Il faut dire que le film avait fait sensation à Venise, emportant le prix Luigi De Laurentiis Award (première oeuvre) et celui de la mise en scène. L'attente pour maints spectateurs était forte et la mienne tout autant. Attente qui se concrétise en effet par une claque sévère suite à une trop forte montée d'adrénaline sur plus d'une heure trente. Ahurissant de justesse, on franchit la limite même du docu-fiction (comme ce fut le cas avec le court-métrage "Avant que de tout perdre" qui a servi de socle pour construire cette version). La mise en scène de Xavier Legrand et l'assemblage du film poussent le réalisme à l'extrême. Cela fait frémir.


D'ailleurs, tout est dans le titre. De manière basique, "jusqu'à la garde" peut évoquer le laps de temps qui s'écoule jusqu'au jugement définissant le lieu et temps de résidence des enfants et les droits de visite. De manière plus insidieuse, la référence paraît pencherait plutôt du côté sportif. La boxe, mais aussi l'escrime où la garde est l'attitude la plus avantageuse pour se défendre que pour attaquer.


Car il s'agit bien ici d'un combat. Celui des deux parents, mais aussi des enfants, notamment le plus jeune, Julien, témoin privilégié du drame qui se dévoile peu à peu. La première scène nous fait penser comme le rappelle l'avocate à de la mauvaise foi réciproque. On a tous entendu autour de nous des histoires de divorce où un parent accuse l'autre des pires mots et vice versa. Difficile de prendre fait et cause pour l'un d'eux à ce moment là. De cet habile postulat, va découler toute la vision du film où l'on apprend peu à peu à découvrir le tenants et aboutissants du couple.


Très vite le malaise s'installe autour du rôle d'Antoine, le père, dont l'agressivité dépasse le simple cadre de la douleur. Son comportement apparaît même de plus en plus névrotique au fur et à mesure du temps. Il refuse intérieurement le divorce non pas du fait de la séparation, mais plutôt parce qu'il est signe d'une perte de contrôle et de la main mise sur Miriam, son épouse. Cette situation provoquera immanquablement le même effet sur les enfants, ce qui lui semble intolérable. Antoine est totalement hermétique aux critiques et semble n'éprouver aucun scrupule quand il s'agit d'harceler Miriam ou de terroriser Julien. Il sait se faire habile manipulateur pour obtenir ce qu'il souhaite.


On comprend assez facilement qu'il souffre de troubles de la personnalité narcissique, pourquoi Miriam semble si désincarnée et que Julien tente de garder constamment le lien avec ce père si particulier (l'emprise est encore trop forte). Cette pathologie se révèlera autour de deux scènes clés, quand Antoine se met à pleurer (l'apitoiement étant une des ultimes armes pour reprendre le contrôle) et surtout avec le final où se sachant vaincu Il entre dans une phase de rage narcissique, prêt à tous les extrêmes contre ses proches. Rarement évoquée au cinéma cette perversion est méthodiquement mise en lumière par Xavier Legrand au point d'en être impressionnant et l'on tremble jusqu'à la fin, en état de nausée et de stress.


Il fallait un trio d'acteurs bien spécifiques pour crédibiliser l'histoire et là aussi c'est un sans faute. Léa Drucker est impeccable dans un rôle pourtant très étriqué (quelques scènes supplémentaires autour d'elle auraient étaient nécessaires surtout sans avoir vu le court). Denis Ménochet a le physique de l'emploi (trop ?) mais surtout le talent d'incarner cet Antoine, sans en faire trop. Quand à Thomas Gioria, du haut de ses 12 ans, il donne à Julien toute la profondeur et la distance de l'enfant martyr qui cherche désespérément à comprendre.


Le jury de Venise ne s'est aucunement trompé sur la remise du prix de la mise en scène. Xavier Legrand pose un regard différent sur le quotidien (certains plans sont très innovants dans le langage) au moins sur la première partie du film. Il sait mieux que beaucoup d'autres canaliser l'angoisse pour la distiller tel un poison. Sa caméra, la lumière et les effets sonores s'adaptent à chaque personnage, chaque situation et sont des éléments incontournables au déroulé de l'action. Il rivalise dans ce sens avec les plus grands maîtres du genre certains y verront du Haneke, moi je pencherai plutôt vers un Cassavetes et notamment son "Love Streams" où l'approche psychologique des personnages masquait l'âpreté de la situation tout en noyant le spectateur dans le désarroi.


On l'aura compris, "Jusqu'à la garde" est un film très puissant par sa crédibilité, la minutie de la mise en scène, le jeu des acteurs, mais il est également tellement inconfortable qu'il ne donne pas forcément l'envie de la revoir...

Fritz_Langueur
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le 13 févr. 2018

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Fritz Langueur

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