Miriam et Antoine ont décidé de divorcer. Antoine souhaite la garde partagée de Julien, leur fils de onze ans (la plus grande va avoir dix-huit ans). Miriam refuse. Dans le bureau de la juge, avec leur avocat, ils en sont là tous les deux, avançant arguments et certitudes, soutenant preuves et objections. On sent très vite quelque chose qui ne va pas, un malaise. Elle dit qu’il est violent, jaloux, que ses enfants ne veulent plus le voir. Il dit qu’elle invente, qu’il n’est pas cet homme-là, qu’elle les monte contre lui. D’emblée, Xavier Legrand impose un style sec et rigoureux avec une longue scène d’audition filmée comme un documentaire, prise sur le vif (on pense en particulier à Raymond Depardon, à Délits flagrants et 10e chambre, instants d’audiences).
D’emblée il ne nous donne pas toutes les clés, d’emblée il révèle des trous noirs et des suspensions, des avis changeants. Comme le laisse entendre la juge, qui croire, qui privilégier quand les deux parties imposent leur propre vérité ? Entre une mère à bout, souhaitant ne plus voir son mari et couper court à tout dialogue, et un père obsédé par le désir d’être avec ses enfants, quelle latitude, quelle place laisser à chacun ? C’est toute la triste et implacable "comédie humaine", face à la décision rendue, que la suite du film va patiemment décortiquer jusqu’à son point de rupture (terrassant), observant avec âpreté ce couple qui se désintègre, se fuit, se ment et s’en veut, avec les enfants lâchés au milieu.
Chaque scène apporte son lot de tensions (une soirée d’anniversaire, un repas en famille, ou même une étreinte…), suggère une possible violence, un drame éclatant soudain. La mise en scène, qui pourra rappeler celle de Michael Haneke (avec ce que cela suppose de meilleur comme de pire, par exemple une certaine distanciation, parfois, vis-à-vis des personnages), fait la part belle à des dialogues réduits à l’essentiel, débarrassés de la moindre psychologie et du moindre jugement, et au jeu intense, remarquable, de tous les acteurs (Léa Drucker, Thomas Gioria et surtout Denis Ménochet, impressionnant de présence lourde et inquiétante). Évitant le film-dossier, fuyant l’œuvre à charge et explicative, Legrand y préfère la lente mécanique du film d’angoisse pour rendre compte, au centuple, de la puissance destructrice, morale, sociale et physique, des violences conjugales.
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