Critique publiée dans le cadre de la Coupe SensCritique - 1ère édition :
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2002. Année palindrome, annonciatrice d'un vent contraire. Un réalisateur de cinéma jusqu’alors inconnu gagne l’estime de ses pairs et de la critique, avec son adaptation visionnaire de "The Sum of All Fears", traité philosophique du non moins spirituel Tom Clancy. Dans ce manifeste avant-gardiste pour la paix universelle, Phil Alden Robinson revisite le mythe de l’übermensch et fait du très inexpressif Ben Affleck un surhomme dont la fameuse théorie de Nietzche se fait l'écho. Ben transcende la médiocrité de son jeu bovin pour porter au firmament les valeurs indéfectibles de la bannière étoilée triomphante. Film-étendard qui aura marqué les rejetons d'une guerre froide délocalisée, grâce à la subtilité de son traitement, la virtuosité de sa réalisation, et une absence complète de manichéisme. La consécration sera tardive, mais les thématiques auteurisantes d’Alden Robinson faisaient déjà mouche quinze ans plus tôt. Le public n'était alors pas préparé à recevoir la charge émotionnelle d'un Field of Dreams.
Il se cherche déjà depuis trente-neuf ans, lorsqu'en 1989 Alden Robinson rentre en résonance transcendantale avec le très haut Mahatma céleste. De cette rencontre fortuite avec son karma, naîtra un Big Bang sur pellicule 35mm. Le prodige derrière la caméra devient cinéaste de la providence. Field of Dreams - ou champ des possibles, en langage psychanalytique - démontre l'aisance du cortex humain à accomplir des chimères. Le réalisateur jette son dévolu sur Kevin Costner, acteur consensuel s'il en est, pour incarner un homme aux traits psychologiques on ne peut moins concordants. Phil explore ici la persona établie par Carl Jung, et la baigne d'un éclairage DTV afin de souligner, de son stabilo onirique, la subtile allégorie. Mais l'étincelle de génie, celle qui fera de facto rentrer Field of Dreams au panthéon des chefs-d'oeuvre incompris, consiste à conjuguer persona et baseball. Pure. Genius. Kevin, aussi charismatique qu'un Richie Cunningham des mauvais jours, s'est égaré au verso de son masque social. Derrière ce fard, des étendues colossales de démence schizophrénique, psyché cancéreuse dont les tumeurs finissent par resurgir au recto quand il décide pépèrement de sacrifier sa famille et son logis sur l'autel des obsessions qui le rongent. Kevy Kev a tourné le dos à son Moi pour faire des influences extérieures le seul et unique référent de sa personnalité déviante, il est venu s'exiler dans cet Iowa qu'il exècre plus que tout en faisant mine de s'y repaître avec exaltation. Et ce, afin de satisfaire l'égoïsme malsain de son épouse dégénérée, bien décidée à le retenir dans cette campagne consanguine par le biais d'un chantage affectif dégueulasse.
Sous les traits physiques d'une stabilité mentale à toute épreuve, Kev dissimule un indicible tourbillon névrotique, sa reconversion dans l'agriculture ne tarde pas à le gonfler, et du jour au lendemain son Surmoi décime 150m² de récoltes dans l'optique de se réapproprier une parcelle de raison. Madame Costner a bien essayé de lui faire mirer son propre reflet, à maintes reprises, histoire de provoquer une prise de conscience qui le ramènerait sur les rails du train-train, et ainsi préserver de l'hypothèque sa fermette insignifiante. Mais Madame a fondu les plombs à son tour, et se met à traverser le miroir. Direction l'aliénation.
Désormais conforté dans son delirium tremens par sa folle de femme, Kevin ira jusqu'au bout de sa réforme agraire. L'opération n'est pas sans risque, mais les personnalités multiples de Kev agissent désormais de concert. Dieu le Père s'exprime à travers leurs esgourdes cérébrales dans un récital très allusif, et nul ne saurait contrarier les directives du saint amateur de homeruns. En un rien de temps Kev et son collectif d'inconscients te chient un stade pro, pourvu de spots d'éclairage géants, avec son monticule qu'on dirait fignolé par un géomètre des compagnons du devoir. Précision millimétrée des marques au sol. L'ego du Kev s'en voit tellement flatté que ce dernier croit voir déambuler d'anciennes gloires du baseball newyorkais sur son terrain flambant neuf. Ça va donc pas mieux dans le ciboulot, mais au lieu de se mettre du plomb dans la cervelle Kevin écoute de nouveau sa voix intérieure.
*** Mi-temps ***
Clic sur l'icône "pause" de mon lecteur vidéo. Bien heureux de n'avoir pas éventré ma bourse pour un film aussi peu fertile, me dis-je. A ce stade de la barre de progression VLC, je flaire déjà la bouillie sentimentale mâtinée de fantastique soldé pas cher. Les gerbes d'étincelles jaillissant de la coiffe d'un tramway, ça a son charme 90's. Le synthé vieillot de James Horner, itou. Néanmoins, maladresses d'un autre âge et bévues oldschool mènent au score. Phil aurait mieux fait d'aborder un sujet à sa hauteur. Peut-on croire avec certitude que la lumière du réfrigérateur s'éteint lorsque la porte est refermée ? Or some shit. Bref, j'arpente un chemin rocailleux, mais je me refuse au snobisme prématuré. Un Dr Pepper dans le gosier pour mieux faire passer la gélule, et on y retourne.
*** Reprise ***
Délaissant femme et enfant pour se rendre dans l'état voisin, Kevin tente d'alpaguer James Earl Jones, homme de lettres en friche, à peu près autant siphonné du casque. On lit sur son masque une caution "bougon mais doué de sagesse", tandis que son visage mental traduit une réalité moins attrayante. Pendant que son entreprise agricole périclite, Kev fait germer dans l'esprit malade de l'écrivain déchu une irrépressible envie d'assister à un match de légende. Dénominateur commun de cette envie partagée : Ray "shoeless" Liotta, joueur iconique des années soixante, privé de baseball sur la base de soupçons de corruption jamais étayés. Kev et Jamie s'en retournent ainsi en Iowa, entonnoir dessus-dessous, bercés par la perspective d'une joute légendaire entre sportifs virtuels.
Ce que Kev-du-haut-coteau ne sait pas encore, c'est que James est déjà mort. Pire encore, le champ de maïs jouxtant son terrain de baseball ouvre un portail vers l'au-delà.
Evidemment, au milieu de ce merdier trône la figure paternelle. Présente du début à la fin dans un filigrane de murmures assourdissants, elle se manifestera physiquement pour donner du corps à un dénouement déjà bien pataud. Craignant de se diriger du mauvais côté de l'éternité, Kevin devra échanger quatre banalités et trois lancers avec ce père absent pour ne faire plus qu'un avec lui même. At last. Et ce, toujours au rythme trépidant d'une mise en scène composée de travellings en steady cam, ou de plans fixes haletants. Les Routes du Paradis ne sont pas si loin, mais le ridicule atteint son apogée lors d'un final qui rappelle immanquablement celui d'Un monde meilleur, paru dix ans plus tard.
« Le ciel est l'endroit où nos rêves se réalisent »
Tu m'en diras tant.
A la rigueur, j'aurais préféré revoir Batman & Robin, que de m'infliger ce film de battes. Avec Field of Dreams, j'ai l'impression de m'être pris un batkick dans les batboules. Ultime signature de cette guimauve branquissime, une musique en plein déraillement sur le générique de fin. Strike out.