Dolan est bien devenu une superstar. Son sacre cannois pour Mommy l’a positionné face à un dilemme pour la suite de sa carrière : se risquer à continuer ce qu’il avait toujours fait ou oser le changement. Dans les deux cas, le risque était présent. On a senti arriver le tournant dans sa filmographie rien qu’en voyant le défilé de stars au casting, marquant une rupture forte avec ses précédents films. Dolan est une star. Il peut en conséquence s’offrir des stars s’il le veut...
Juste la fin du monde raconte l’histoire de Louis, un écrivain de théâtre qui revient voir sa famille après 12 ans pour leur annoncer qu’il va mourir. Louis, c’est Gaspard Ulliel, formidable dans sa façon d’intérioriser, d’encaisser les coups sans jamais flancher. Mais il n’a rarement plus de “ 2 ou 3 mots à dire “. Il vient annoncer sa mort et pourtant il semble déjà fantomatique, comme une tombe à laquelle on parle pour se remémorer les bons moments...
Car dès le retour du jeune homme à la maison, le film suggère l'impossibilité de la moindre communication. Plus rien (ni personne) n'est comme avant. Ecrasé par la mélancolie, le revenant n'arrive pas à dire. Les autres ne veulent pas, ne peuvent pas entendre ce qu'ils devinent sans doute. C'est un moment de gêne absolue et de diversions hystériques. Un moment où toutes les névroses familiales, les jalousies, les frustrations, mais aussi les adorations, encore plus inavouables, se rejouent une dernière fois, dans le chaos...
Dolan ne commet pas l'erreur de fuir le théâtre : il le revendique. Hormis une violente scène en voiture entre les deux frères (et encore, on reste dans l'habitacle, avec eux), le huis clos est assumé. Mais des bouffées de lyrisme impromptues, sans parole, viennent régulièrement suspendre la dispute familiale. Tout se joue alors sur les visages en gros plan, dans les échanges de regards, d'une intensité magnifique...
A chaque comédien Xavier Dolan donne le temps de livrer de l'inédit. Il ose étirer les scènes plus que de raison, pour faire surgir des nuances et des intonations bouleversantes. Le grand frère Antoine, prolo et ordurier (Vincent Cassel) semble d'abord un faire-valoir comique, jusqu'à ce que ses fêlures, hurlées, envahissent l'espace. La nervosité fofolle de la mère peinturlurée (Nathalie Baye) dévoile peu à peu une folie plus profonde, peut-être proche de la sagesse. Catherine, La belle-soeur effacée et bafouillante (Marion Cotillard) devient une belle figure de la compassion. Sans oublier Suzanne (Léa Séydoux), la soeur complètement perdue : elle ne connaît pas Louis, mais l'adore déjà et le met sur un autel sentant bon l'herbe à fumer...
Ici, le langage y apparaît comme un foyer constant d’approximations à corriger, le lieu privilégié d’une mise au point qui s’éloigne à mesure qu’on cherche à la nommer. En un mot chacun, y compris la victime de cette triste histoire, est ici seul avec sa souffrance en même temps qu’il ne peut se passer des siens pour l’éprouver !!!