Dès la scène d’ouverture la patte de Dolan est perceptible. Là où l’on s’inquiète un peu plus, c’est dans le jeu des acteurs. Cette belle ribambelle de comédiens français sous la direction du jeune prodige canadien se fondra t-elle correctement dans son univers ? Alors qu’on commence avec un Gaspard Ulliel silencieux, une Nathalie Baye excentrique, une Marion Cotillard bégayante, un Vincent Cassel sarcastique, et une Léa Seydoux grossière, le doute s'installe et la question se pose bel et bien.
Mais si l’on fait confiance à Dolan, bercé par son impeccable maîtrise des très gros plans, les acteurs finissent par se fondre dans le décor et par trouver leur place dans ce cadre à la scénographie minutieusement travaillée. C’est pour moi tout le ressort du film : se laisser guider par Dolan, comme l’on fait les acteurs, afin de rentrer au cœur de l’histoire. Un pari audacieux face à des personnages aussi spéciaux, dans ce huis clos familial épuisant.
Juste la fin du monde repose sur une dichotomie entre les moments de cacophonie et les longs plans silencieux voire ralentis. Mêlant le brut au délicat, Dolan rythme l’histoire par les non-dits. Et si la mise en scène et le montage y sont pour beaucoup, le jeu des acteurs a la part belle. Car tous campent leur personnage avec justesse. Au plus proche du spectateur, Marion Cotillard, quelque peu extérieure à cette famille, est touchante malgré son hésitation et son bégaiement. Léa Seydoux, attachante dans le rôle de la cadette, joue étonnamment juste dans ses crises de colère. Vincent Cassel reste impeccable dans le rôle du frère brut, incapable de communiquer avec les siens, tandis que Nathalie Baye joue avec grandiose celui de la mère aussi hystérique qu’extravagante. Enfin, Gaspard Ulliel, dans un personnage au mutisme quasi-complet, réussit à exprimer intensément les silences et la retenue de ce dernier.
L’histoire en elle-même (adaptée de la pièce de théâtre de Jean-Luc Lagarce) est touchante. Les membres de cette famille déchirée, dont on ne saura quel secret la hante, ne savent comment se dire qu’ils s’aiment. Les discussions vaines et pénibles de famille tranchent avec les moments plus intimes et privilégiés que Louis (Gaspard Ulliel) partage avec chacun. Les longs regards éloquents contrebalancent les crises de colère et de pleurs. La tirade sur les dimanche en famille, les confessions bidons, les moments d'insouciance rappelés, et la musique ringarde (nomanomayé) viennent adoucir la tension plus que palpable, aussi destructrice que la terrible nouvelle qui plane. C’est toute cette réalisation oscillant d’un bout à l’autre qui bouleverse, et prouve une fois encore tout ce dont Dolan est capable.