Chaos debout
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Regard lourd sous des paupières basses, écrasant de sa suffisance tout ce sur quoi il s'abaisse ; lippe sensuelle, légèrement relâchée, jouissant avec nonchalance de ce qui s'offre... Antoine Leconte (Laurent Lafitte, si parfait qu'il en est inquiétant) évolue dans un univers essentiellement clos et nocturne, passant d'une boîte à l'autre : la société de télévision dans laquelle il exerce ses hautes responsabilités, les différents clubs privés entre lesquels il navigue, sans compter les appartements d'amis, d'amantes, le sien, et les taxis qui le promènent de l'un de ces lieux à l'autre. La palette est sombre, traversée d'éclats de lumière vive et de violence : violence des rapports humains, malgré le feutre des bonnes manières ; violence des rapports sociaux, les rôles de dominant, dominé étant clairement établis et irrévocablement partitionnés. Violence qui culmine et se dit d'emblée, dans la scène de boxe qui ouvre le film. Violence qui rampe jusque dans la sphère la plus intime, celle du couple formé avec la belle Chiara Mastroianni, en Solange dépressive. Violence qui clôt abruptement la première partie du film, en mettant fin à ce règne de l'homme moderne, au moyen de ce dont on ne saura jamais s'il s'est agi d'une crise cardiaque ou d'un coup de feu.
À partir de cette effraction dans la vie du héros triomphant, le scénario ouvre son panneau central et se déroule à la manière du film de Christian Petzold, "Yella" (2009), en épousant étroitement les états de conscience du personnage principal, ce qui permet de rendre la question du réel totalement mouvante : à son "réveil", que vit le héros ? Un gigantesque complot visant à se venger de lui, à le rendre fou ? Un cauchemar ? Mais alors, quand vivait-il réellement ? Quand dormait-il ? En effet, sur fond de clarté diurne pourtant retrouvée, le réalisateur immerge son personnage dans une réalité presque totalement inversée.
Antoine est lui-même devenu l'un de ces personnages subalternes qu'il méprisait tant, auparavant. Ses anciens amis sont devenus au mieux traîtres, au pire ouvertement hostiles, ses anciens opposants se sont mués en indéfectibles soutiens... Constantes intéressantes : le plus proche conseiller, resté ami fidèle ; la femme aimée, auparavant dédaignée, maintenant assidûment poursuivie mais obstinément inaccessible ; un trouble persistant dans le lien avec la séduisante collègue incarnée par Clotilde Hesme ; et la boxe, ici sauvagement et clandestinement pratiquée, au creux de hangars désaffectés où les combats se livrent jusqu'au sang, jouant ouvertement et explicitement les mises à mort qui régissent la vie sociale.
Un second "réveil" ouvrira le dernier volet du triptyque, semblant relier le scénario à sa première partie et conférer au panneau central le statut de délire comatique ; un délire qui aurait permis au héros de se réconcilier avec lui-même, avec ses zones les plus ambiguës tout comme ses aspirations les plus profondes. Mais les bips de la bande son, dans la scène finale, bips suivis de la tonalité continue qui signale l'arrêt cardiaque sur un monitoring, viennent à nouveau semer le trouble et éveiller le doute, quant au degré de réalité de ce qui se serait joué là...
Le second long-métrage de Fabrice Gobert propose ainsi une connexion intéressante entre les profondeurs de la vie inconsciente et le caractère violemment pulsionnel de la vie sociale, avec les dommages qui pourront s'ensuivre...
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le 5 juil. 2017
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