Kaili Blues est un film qui ne semble jamais vouloir commencer et quand enfin il finit par commencer on aimerait que plus jamais il ne se termine.
Oui, Kaili Blues commence par ne jamais vraiment commencer, Kaili Bues commence par flotter lentement de tableaux en tableaux, de longs plans panoramiques en longs plans panoramiques, au présent quand on pense être dans le passé, au passé quand on pense être dans le futur et quelque part au milieu de tout ça quand on pense finalement être dans le présent.
Kaili Blues nous promène tranquillement dans son puzzle temporel pendant que l’on suit le docteur Chen dans la pénombre oppressante d'une de ces villes où tout semble triste et gris comme un long dimanche de février, de son sol goudronné jusqu’à son ciel pollué en passant par ses grandes tours qui paraissent se bousculer pour aller toucher ses gros nuages poisseux. Une ville qui vous piège dans son labyrinthe de béton grisonnant avec ses murs bruts dégoulinants, ses sous-sols crasseux, ses lumières agressives, ses néons colorés et ses ventilateurs qui tombent en panne dans la chaleur étouffante d’un salon minuscule et de son canapé rapiécé. Une ville qui se referme doucement autours de vous pour vous prendre dans le piège de sa lourde réalité que viennent briser ces poèmes qui nous sont récités et l’apparition de rêveries illuminées, de ces boules à facettes qui viennent faire danser leurs illuminations colorées sur ses mornes décors figés, de la chorégraphie de ces chaussons bleus qui volettent dans l’eau pendant qu’ils se laissent emporter par le courant et de ce train projeté sur un mur qui s’en vient nous emmener remonter le temps.
Et alors que l’on se dit que Kaili Blues ne commencera jamais, il finit finalement par commencer, le titre finit par apparaître et Chen finit par quitter cette ville pour prendre cette longue route, cette route qui paraît ne jamais s’arrêter de tourner et alors qu'il roule, qu'il tourne et qu'il s'enfonce un peu plus dans le brouillard, que la fine barrière qu'il restait entre le rêve et la réalité s'évapore dans l'épaisse brume qui nous entoure, le puzzle temporelle s’assemble, le passé et le présent et le futur se rejoignent et se mélangent dans ce plan séquence immense d’une quarantaine de minutes.
Un plan séquence qui nous conduit sur ses petites routes terreuses jusque dans les petites ruelles d’un petit village au bord d’une rivière, que l’on suit en flottant comme un esprit derrière tous les personnages qu’on y croise, où tout semble incroyablement réel et complètement irrationnel, comme dans un rêve. Un rêve où tout ce que l’on a vu et entendu et deviné dans ce commencement qui ne commençait jamais prend enfin sens pendant que l’on rencontre toutes les personnes qui ont marqué la vie de Chen, qu’il parle à ceux qui sont restés dans le passé et qu’il rencontre ceux qu’ils deviendront dans le futur. Et c’est beau et c’est triste et c’est joyeux et c’est troublant et c’est marquant et c’est renversant.
Car Kaili Bleu n'est pas un film mais une expérience unique, une exploration sensorielle, un rêve éveillé, un grand voyage halluciné à travers le temps qui ne se passe pas dans le passé, ni dans le présent et ni même dans le futur mais un peu partout à la fois et partout en même temps, qui nous conduit dans un périple entre rêve et réalité à travers cette chine oubliée quelques part entre deux lacets sur le bord de la route du temps par la mondialisation, coincées avec ces magnifiques paysages délavés anachroniques entre des époques qui ne sont jamais vraiment arrivées jusque ici.
Car Kaili Blues est un rêve onirique en dehors du temps que l’on aimerait ne plus jamais quitter.