Kajillionaire signifierait « riche à l’excès » dans la mesure ou kajillion-, terme argotique, se rapporte à un nombre outrancièrement élevé. Le film est réalisé par Miranda July qui semble être une aficionado d'un cinéma fantaisiste et intimiste avec des sorties assez espacées dans le temps. Cinéaste plutôt rare donc, pourquoi prend-elle à nouveau la parole avec ce Kajillionaire ? Et surtout de quoi sont "riches à l'excès" les personnages qu'elle nous présente ?
Le film raconte la survie loufoque d'une petite famille forgée à l'arnaque du dimanche sur fond d'épanouissement existentiel mortifié et d'un quotidien qui se faufile dans les angles morts des caméras. Jusqu'à l'arrivée impromptue d'un élément extérieur (Gina Rodriguez) dont la courte mais vive implication dans la vie de cette famille hors-radar peut surprendre.
Notons à l'évidence une visée existentialiste qui pourrait se rapprocher entre autre de la patte de Charlie Kaufman sans pour autant prendre l’ampleur récitative d’un Synecdoche, New York ou l’absurdité visuelle d’un Being John Malkovich. Kajillionaire se joue de circonvolutions et de personnages plutôt habitués à prendre la route la plus longue pour un résultat qui n'en demanderait pas temps à la plupart des gens. Mais il y a là un début de discours sur la difficulté d'être, ou d'ailleurs ne pas être, dans des territoires urbains où l'inadaptation peut prendre la forme d'un calvaire tout sisyphéen au cœur duquel la pierre qui roule se dissimule dans le film sous la métaphore d'un mur qui mousse obligeant la famille à amasser celle-ci à intervalles réguliers dans des grandes corbeilles pour sauvegarder le peu du toit qu'ils ont d'une humidité précaire.
Un sentiment d'uncanny valley réhaussé par les jeux de Evan Rachel Wood (Westworld) en presque vieille fille formatée à la débrouille délictuelle et Richard Jenkins (Olive Kitteridge par exemple) en affolé du Big One (séisme tant redouté en Californie) qui prend parfois des mimiques "cranstoniennes" quand l'instinct quasi-reptilien de la survie par l'arnaque prend le pas sur son personnage au pied du mur économique. Quoi de mieux aussi pour figurer la situation "hors sol" des personnages que cette première image du film où un bus s'arrête et ils sont les seuls à ne pas monter dedans. Les autres s'en allant vaquer à leurs activités bien "ordinaires".
Dès lors de quoi sont immensément riches ces personnages ? Difficile à dire, peut-être cette incertitude participe-t-elle du message absurde d'un film dont la fin révèle une Old Dolio (Evan Rachel Wood) toujours dans le besoin d'être attachée inévitablement à un rocher, de par l'image utilisée dans le film du bébé accroché à une mère nourricière ? Est-on donc riche d'avoir une famille, un soutien quotidien ? Le message paraît ici un peu fuyant et pas sans contradiction avec une Old Dolio souvent réticente au choc de l'altérité même s'il est certain qu'au fond elle recherche l'absence de solitude et la sécurité de ses parents. A partir de là le film rejoue un peu la fin de The Road, le poids de l'apocalypse en moins.
Quelle image retenir au final de ce marasme survivaliste ensoleillé ? Peut-être celle de personnes qui se plient en quatre pour joindre les deux bouts afin d'arracher une journée supplémentaire dans un monde déjà vécu comme un cataclysme journalier. Si c'est le genre de film qui n'impressionne pas outre mesure, notamment de par sa cinématographie déjà ressentie dans d'autres films (The Florida Project par exemple ?) il reste tout de même quelque part, quelques temps avec soi car on sait tous ce que ça fait que de vivre en Absurdie.