C’est une famille un peu bizarre, un peu arnaqueuse sur les bords, qu’a voulu nous faire rencontrer Miranda July dans son nouveau long métrage. Il y a Theresa et Robert, les parents, et leur fille Old Dolio, 26 ans, dans sa bulle sous ses cheveux longs et perdue dans le monde comme dans ses vêtements trop larges. C’est une famille dysfonctionnelle aussi, où on ne sait pas exprimer ses sentiments, où le quotidien se résume à vivre de petites combines et de petits larcins dans les faubourgs périphériques de L.A. Et puis voilà qu’ils rencontrent Mélanie, jeune femme pétillante et bien dans sa peau (tout le contraire d’eux) qui va se joindre au trio et le bouleverser entièrement (et bouleverser surtout Old Dolio).
Avec son humour à froid et son ton gentiment décalé, Kajillionaire (qu’on pourrait traduire, en argot américain, par "immensément riche") séduit beaucoup dans ses premières minutes. Mais on sent vite (un quart d’heure suffit) qu’il n’y aura rien d’autre, rien que ce ton décalé qui fait ressembler Kajillionaire à une caricature de film indépendant estampillé Sundance mâtinée de quelques nunucheries poétiques à la Wes Anderson. De la mousse rose ruisselant sur un mur, d’habiles chapardages dans des boîtes postales, une imitation de vie de famille modèle pour permettre à un mourant de partir en paix, et des acteurs que l’on a plaisir à revoir (Debra Winger et Richard Jenkins) ou qui épatent (Evan Rachel Wood et Gina Rodriguez). Et puis quoi d’autre ? Et puis rien, donc.
July, toute attentionnée à fabriquer un univers tout mignon et tout fantaisiste (mais tout mélancolique), en oublie tout le reste. Ce reste qui fait un film, généralement. Le rythme est atone, le scénario décousu (ça parle à la fois d’émancipation, de relation parentale toxique, d’amour naissant, de découverte de la vie, d’une Amérique qui vivote…) et, principal défaut de la chose, les personnages existent à peine. Impossible de s’y attacher tant July, au lieu de leur donner un minimum de consistance, en fait de simples pantins tristes à la dégaine négligemment (mais savamment) cool, des espèces d’outsiders de la société juste programmés à traîner leur mal-être et leurs égarements sans parvenir à nous toucher. Tout cela dans un style minimaliste qui frôle constamment le maniérisme (et qui parfois s’y complaît), July voulant nous faire croire que sa patte artistique, apprêtée et (désespérément) indé, vaut comme esthétique follement singulière. Sauf que non. Sauf que pas du tout. Sauf que jamais.
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