Très critiquée par les Indiens à la sortie de Salaam Bombay, qui n'avaient pas apprécié qu'elle y montre la misère actuelle, Mira Nair décide de faire un film sur le passé et l'histoire de l'Inde à travers un de ses préceptes les plus connus, le Kama Sutra. Pas celui des positions qu'on essaye et qui, prises seules, perdent leur sens pratique, éthique et social. Non, le Kama Sutra, comme science de l'amour et des relations sociales. Quelque chose qu'aucun autre pays n'a créé à cette échelle, avec une telle dimension mystique. Mais Mira Nair, en filmant avec beaucoup de sensualité ces corps de femmes et d'hommes, ne reste pas moins provocatrice, dans une Inde aujourd'hui hypocritement puritaine, héritage par couches successives des colonisateurs aryens, moghols et britanniques. Comme un pied de nez aux reproches de misérabilisme de Salaam Bombay, elle décrit ici le faste de l'époque ancienne au début d'une nouvelle ère, celle de l'empire moghol, et ose montrer les corps qui s'enlacent. Mais pas n'importe comment. Elle suit très précisément certains passages du Kama Sutra dans les comportements à tenir selon son rang et son sexe. Cela va d'une rebuffade à une caresse en passant par un froncement de sourcil, dans une chorégraphie des corps exacte, irréprochable, pour mieux nous parler des femmes, des castes et de la liberté.
Kama Sutra décevra ou indignera bon nombre de personnes, d'un côté ceux qui viennent y chercher de la pornographie ou un guide visuel permettant de reproduire les positions qui ont rendu l'ouvrage célèbre, et de l'autre, pas mal d'Indiens pour lesquels montrer la nudité, l'acte sexuel ou les baisers reste scandaleux.
Un film engagé, sous un apparent classicisme, pudique mais pas pudibond, à la sensualité revendiquée. Mira Nair s'empare de la culture indienne sur son propre territoire pour rendre un hommage à sa beauté et tenter de réveiller les mentalités qui se sont perdues dans un des patriarcats les plus violents au monde. Une déclaration d'amour, donc.