La passion partagée pour les images de chats sur internet illustre la relation particulière qu'entretient la gente humaine avec les petits félins. Par ailleurs, si dans la réalité des rues et des quartiers les traitements varient, certaines villes se voient associées à leur présence. Ainsi, tout comme Venise, Istanbul se révèle dans la manière dont ses habitants vivent aux côtés de ces mystérieux animaux.
Après avoir grandi sur les rives du Bosphore, Ceyda Torun a vécu en Jordanie puis aux États-Unis (où elle fit des études d'anthropologie), avant de revenir dans la cité de son enfance pour filmer, comme le précise le titre du film, des chats et des hommes. Se construisant par étapes, le projet court sur plusieurs années, le temps de réaliser un véritable casting et, grâce à de nombreux informateurs, suivre le quotidien des sujets retenus, dix-neuf au total pour sept présents dans le documentaire.
Vivant en liberté, mi-sauvages mi-domestiqués, les chats d'Istanbul peuplent la ville depuis des siècles. De nombreux Stambouliotes entretiennent avec eux des relations particulières, le respect pour leur mode de vie et un attachement certain imprimant leur quotidien d'une saveur unique. Les habitudes des félidés deviennent celles des femmes et des hommes qui témoignent : de la découverte d'une portée à la rencontre fortuite, toutes et tous racontent finalement une histoire similaire mais l'interprètent à leur manière.
"Si vous savez apprécier la présence d'un chat, d'un oiseau, d'une fleur... Que dire ? Le monde entier vous appartient."
Miroirs des émotions humaines, les chats que beaucoup nourrissent, accueillent ou protègent acquièrent par leurs comportements, leur indépendance et l'aura qu'ils véhiculent, un statut à part. Compagnons d'enfances joyeuses, ayant pour certains compris que les hommes leur permettaient de communiquer avec Dieu, extra-terrestres pour d'autres, ils renvoient également chacun à sa conscience de la mort, quand croire en leurs neuf vies revient à valider leur immortalité. Si la question religieuse se trouve évoquée, la quasi vénération des chats semble relever de rites beaucoup plus primitifs et païens.
Travaillant avec deux caméras simultanées, filmant à hauteur féline, la cinéaste ne met pas en scène mais accompagne les parcours rituels de ses personnages à quatre pattes. À travers eux, elle rappelle également l'histoire d'une ville mythique, du temps le plus ancien au plus contemporain alors que la destruction prochaine d'une quartier inquiète davantage pour les chats que pour les humains.
Porté par une profonde bienveillance, Kedi, des chats et des hommes écarte toute niaiserie par un traitement en parfaite cohérence avec son propos. À ceux qui le trouveront naïf et anecdotique, il sera répondu que ce film fait simplement du bien : voir un quinquagénaire moustachu s'attendrir d'un chaton qu'il tient au creux de la main, permet de croire encore en l'humanité.