Réalisme loachien
Ken Loach fait partie de cette nouvelle génération de cinéastes britanniques qui après la brève aventure du Free Cinema, fit son apprentissage dans les studios de télévision, comme Ken Russell ou...
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le 27 mai 2020
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Déjà, le seul fait de savoir que ce film a été doublé a posteriori, dans un anglais moins rugueux, à la demande de la société de distribution / production américaine United Artists et afin de proposer une piste audio secondaire avec un accent moins incompréhensible que celui de Barnsley (Yorkshire du Sud, au nord de l'Angleterre) pour un public anglophone plus large, mérite une certaine attention. Pas un gage de crédibilité ou de réalisme, mais en tous cas un indice concernant les conditions de tournage, Ken Loach ayant vraisemblablement pris un grand soin dans la reconstitution de cette ambiance prolétaire à la fin des années 1960, à l'occasion de son deuxième film. Une chose est certaine : je défie quiconque qui ne soit pas Yorkshireman ou Yorkshirewoman de comprendre le détail (voire même la moitié) des dialogues de Kes.
Il y a déjà quelque chose de reposant dans cette adaptation de "A Kestrel for a Knave" (Une crécerelle pour un valet) : on ne retrouve pas la main manichéenne lourde et maladroite que l'on peut connaître, assez communément, dans la plupart des films de Loach. Le récit d'apprentissage explore le paysage de la classe ouvrière anglaise et ne respire bien sûr pas fondamentalement le bonheur et le confort, mais il n'y a pas non plus d'excès inverse, pas de misérabilisme, pas de satisfaction dans la contemplation de l'indigence. C'est simplement et prosaïquement le portrait d’un garçon évoluant dans ce décor et qui cherche à se construire, il n'a pas d'amis, pas d'ennemis, il n'aime pas particulièrement l'école, le foyer familial ne lui apporte rien de fondamentalement rassurant. Un jour, toutefois, il découvre un faucon crécerelle ("kestrel" en anglais) lors d'une de ses explorations au milieu de terrains désaffectés et il se lance dans son apprivoisement.
Kes n'évite pas toutes les formulations démonstratives ni toutes les condamnations morales un peu trop explicites, mais il trouve sa nuance dans la retranscription de cette Angleterre et dans le fourmillement d'anecdotes qui rendent crédible cet environnement. L'ambiance de petite ville minière avec le même horizon pour tous, auquel il opposera constamment un franc refus (en substance, il répète qu'il ne finira pas "down the pit"), les petites combines qui lui permettent de gagner un peu d'argent de poche, les petites brimades qu'il subit, les matchs de foot (avec quelques notes comiques), les petits larcins qui adoucissent un peu cette vie tellement grise... Ce tableau-là est très réussi, et il permet de laisser émerger la parabole poétique de la passion pour ce rapace, qu'il apprend à connaître grâce à un livre, un traité de fauconnerie dérobé en librairie. L'élève distrait, indiscipliné, sans attachement particulier, se découvre un intérêt et un attachement singuliers pour l'oiseau.
Quelques scènes se démarquent des passages plus classiques marqués par le caractère austère de l'enseignement et des professeurs, ou par la dureté des conditions alimentées par ses camarades. Lorsqu'un professeur moins stupide que les autres lui propose d'évoquer sa passion en cours, après avoir détecté l'apparition d'un vocabulaire inhabituellement complexe, le gamin parvient à captiver l'ensemble de la classe avec son emballement communicatif qui perce dans l'océan de l'ennui qui régnait jusque-là. Ce symbole d'espoir est en tous cas amené avec une douceur très agréable, sans happy end, dans un contexte anti-spectaculaire d'où surgit un éclat aussi bref que remarquable.
https://www.je-mattarde.com/index.php?post/Kes-de-Ken-Loach-1970
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Créée
le 7 oct. 2024
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