Kids fait partie de ces films dont on ne sait pas trop quoi penser. Ou plutôt peut-être de ces films dont on ne sait que trop quoi penser : je l'ai trouvé tout à la fois très mauvais et assez brillant, tant l'ensemble est inégal.
Comme son titre l'annonce déjà, Kids est un film très jeune, non seulement par le sujet qu'il traite bien évidemment, mais aussi parce que c'est le premier long métrage de Larry Clark, et surtout le premier scénario de Harmony Korine pour le cinéma, alors que celui-ci n'a même pas la vingtaine.
Ce film nous plonge dès ses premiers instants dans l'époque des t-shirts trop longs, des "checks" interminables pour se saluer... Nous voilà dans les funestes années 1990. Funestes puisque si la libération sexuelle a bel et bien eu lieu, l'innocence et la candeur qui l'accompagnaient se sont évanouies à tout jamais lors de la décennie précédente. Ici la misère est omniprésente, cette misère universelle qui s'immisce dans tous les milieux sociaux et toutes les générations. Korine pose avec ce scénario les fondements de la fascination pour cette misère aux mille visages qu'on retrouvera un peu partout dans sa filmographie, de Gummo à The Beach Bum.
Dans toute cette bande de sales gosses new-yorkais, personne n'échappe à cette misère : ils n'ont rien à faire à part traîner entre eux, squatter la piscine la nuit, fumer des joints, boire, baiser, comme le souligne très bien le personnage de Telly en guise de conclusion du film : "When you find something that you care about, that's all you got. [...] That's just it. Fucking is what i love. Take that away from me and I really got nothing"
Mais cet ultime refuge qu'est pour eux la sexualité est lui-même menacé, s'il ne leur est pas tout simplement retiré, puisque le VIH s'immisce dans le groupe et vient détruire tous les espoirs de certains. Presque tous les personnages sont d'ailleurs particulièrement creux et fades (signe d'une insouciance encore tenace), sauf Jenny qui se distingue du lot, devient plus touchante et plus profonde, à partir du moment où elle apprend qu'elle est séropositive...
Telly, à l'inverse, se montre comme une sorte de vampire (médiocre parce que moderne), qui sème le malheur sans s'en rendre compte en contaminant toutes ces "vierges" qui l'obsèdent : chaque conquête dont il se vante abondamment n'est que la première étape du chemin de croix de ses victimes.
Korine fait ici preuve d'une grande lucidité sur sa propre génération et d'un grande pertinence lorsqu'il s'agit de mettre en scène l'adolescence en général, et pas seulement sa propre bande de potes. Nous avons tous connu de tels sales gosses et nous avons tous plus ou moins été semblables. J'ai eu leur âge vingt ans après le film mais j'ai cru retrouver dans celui-ci certains événements de mon adolescence, certaines connaissances qui l'ont traversée...
Cela dit la structure globale du film est un peu décousue, nous ne sommes pas épargnés par certaines longueurs, certains passages inutiles qui ne sont là que pour choquer (je pense notamment au passage à tabac du gamin dans le skate park, ou au regard appuyé de Casper sur les seins de la mère de Telly...) ; et si la manière de filmer de Larry Clark est plutôt sympathique dans l'ensemble, ces gros plans fréquents sur les visages, caméra à l'épaule, peuvent parfois s'avérer être assez lourdingues. Enfin j'avoue avoir été assez déçu par la fin du film : on s'attendrait à un coup d'éclat final, une véritable explosion du cadre lors de laquelle les personnages prendraient conscience des conséquences de leur jeu, ou du moins des explications entre eux ; mais rien de tout cela. Au contraire, nous avons affaire à une sorte d'indécision finale avec la réplique finale précédemment citée, qui s'accompagne d'une ironie tragique profondément cruelle : ces gosses-là n'ont rien et n'auront jamais rien, et ne le savent même pas.