Ce qui est flagrant pour qui a revu récemment des films comme Zatoichi (malgré toute la sympathie que je lui porte) ou Achille et la Tortue (…) — là j’occulte volontairement les délires du genre Takeshi’s ou Glory to the Filmmaker !, et qui revoit un film de la période 90’s du réalisateur comme celui qui nous intéresse ici, c’est à quel point désormais il y a Kitano…et il y a EU Kitano.
On ne peut pas être et avoir été comme dirait l’autre.
À l’époque de Kids Return (1996) Kitano bénéficie d’une alchimie faite de conjoncture, de collaborations à l’état de grâce et d’évolution personnelle qui confèrent alors à ses films —jusqu’au paroxysmique Hana Bi, et dans une moindre mesure le très entrainant Kikujiro no Natsu—une aura toute particulière ; à la fois fragile, juste, très personnelle et presque aussi envoutante que cruelle. Un mélange de beauté, de sensibilité, de cynisme, de fatalisme, de douceur et de violence.
À cette époque Kitano et Hisaishi ne se tiraient pas la gueule (divorcés depuis Dolls), on croisait à chaque coin d’écran les trognes de Terajima, Osugi ou Watanabe, et Beat Takeshi signait avec Kids Return son film le plus autobiographique après être passé à deux doigts de la mort puis de la paralysie ; et accessoirement son premier grand succès critique et public maison.
Difficile en effet de ne pas reconnaître en Kids Return un regard attendri et désolé sur les errances de jeunesse de l’ex Asakusa Kid ; insolent, nonchalant, espiègle et désoeuvré. On y retrouve des éléments aussi évidents que la place du manzaï en filigrane tout le long du film, la fascination pour le monde yakuza —et par extension tout ce qui constitue l’excitation de l’inédit d’une vie de « grand », les rencontres et les séparations, les destins en parallèle d’un duo déchu.
(Et pas besoin d’avoir vu Angels with dirty face pour y déceler une certaine analogie avec le présent film.)
Difficile de nier que Masaru et Shinji, l’un de bleu et l’autre de rouge vêtus, représentent autant les contradictions que la complémentarité de la personnalité de Kitano, dont le subtil mélange de violence et de douceur constitue une des marques les plus flagrantes de ses films.
Parce que je n’aime pas rabâcher les résumés des films que je critique, je me contenterai d’évoquer la nostalgie palpable qui émane de Kids Return, sentiment accentué par la narration faite de flashback pour une fois heureux (comprenez : bien amenés et fluides) introduits par un écran de titre immédiatement accrocheur où Hisaishi, en mélangeant les genres, fait des merveilles.
Au passage, il s’agit sans aucun doute à mes oreilles d’une des meilleures B.O de l’ami Joe. Aux rythmiques au dynamisme très juvéniles se mêlent nappes méditatives et guitares nostalgiques de fin de journée cotonneuse, portant un thème principal aussi enjoué que propice à la rêverie. Une réussite à classer pas loin du plus que parfait thème de Sonatine.
En posant un regard attendri mais lucide sur la jeunesse—sa jeunesse, Kitano n’épargne pas le monde adulte qui écrase, corrompt, déforme et pervertit, à l’instar du système éducatif japonais bien égratigné par la même occasion, rigide et dépassé (dans tous les sens du terme).
Beaucoup de nostalgie et de tendresse, quelques jeux d’enfant, de connerie juvénile, mais aussi d’amertume et de cruauté existentialiste faite d’ascension et de chute parsemant obligatoirement la voie que l’on prend dans la vie, qui remplace ici un peu la violence graphique à laquelle la filmographie de Kitano commençait à nous habituer.
Un film bilan, qui vient panser les plaies d’un réalisateur presque suicidaire, presque vivant, presque mort, et marqué à vie, mais près à en découdre de nouveau.