Tirer les ficelles et les douilles de la crade cahute
On ne m'ôtera surement pas de l'idée que l'origine théâtrale du film crève les yeux et l'écran, le film pourrait surement se passer entièrement dans ce mobil-home crasseux, plongée pour un film noir dans l'ornière d'une des plus sordides familles américaines. À noter que ce qui fait la saveur d'une pièce c'est l'art du rythme, du dialogue et les acteurs qui la servent, il ne manque rien ici.
Rien ne sera ôté de votre vue pendant ce film, vous verrez tout et ce sera sale, je voudrais dire gras mais vous penseriez au rire ou l'humour du même type, or ce n'est pas le cas, c'est juste une saleté qui colle aux doigts, qui sent mauvais en arrière fond, qui pourrait paraître normale puisqu'elle est commune et qui là envahit tout l'espace. On nous prévient dès le début du film à la vue d'une entrejambe, si vous voulez vous épargner tout ça c'este encore possible.
Une fois ce choix fait, on peut entrer dans cet univers, accepter cette réalité, ici c'est la description de la bassesse humaine plutôt que de sa misère. Petit portrait de famille ...
Le père divorcée, garagiste, lent à la détente, parfois un peu violent; sa nouvelle femme pouf, serveuse, furie dominatrice; son fils un peu violent lui aussi, un peu paresseux et irréfléchi, a dealé un peu, a eu une ferme et des lapins mais ça c'était avant; la fille qui a l'air d'être perdue au milieu de tout ça, volonté d'être normale, introvertie, un peu simplette; l'ex-femme (qu'on ne voit pas ou peu dans le film) qui les a abandonné pour un tocard avec une grosse queue, a tenté de tuer sa fille avec un oreiller quand c'était un bébé parce que "un bébé en plus c'est trop de boulot et c'est fatiguant".
C'est pas joli, joli.
En manque d'argent le fils propose au père de contacter Killer Joe (un flic qui occupe avec intelligence son temps libre) pour tuer leur mère (l'ex femme du père donc) pour toucher l'assurance-vie au nom de la petite soeur. Ainsi on se débarrasse d'une vieille peau et l'argent coule à flot.
On vous l'avait dit qu'on faisait plus dans la côte de boeuf plutôt que la larme de crocodile.
Et à cause de tout ça, de cette bêtise, de la pauvreté, du coté complètement paumé des personnages, Friedkin met en place au fur et à mesure une ambiance un peu oppressante, un peu sombre, à travers une image assombrie, une bande son réussie. On campe peu à peu ces personnages, on les brosse, on noue les fils qui les relient. Ces personnages sont chacun réussis, chacun est travaillé, le père est bon, la belle-mère aussi, la fille est excellente. Seul le frère est inégal, son personnage se délitant un peu au fur et à mesure du film alors qu'il construit son opposition avec le personnage éponyme, Joe.
Il est temps de parler de lui, son interprète est McConaughey auquel je ne faisais que modérément confiance, il relève cependant avec talent le défi et nous livre une belle prestation, cet homme froid, tout de noir vêtu, qui évoque le cowboy mais provoque le respect, silencieux pour mieux nous surprendre, du beau travail.
Tout s'enchaine donc à un rythme régulier, sans être trépidant, juste adapté à la situation, aux quelques obligatoires élipses donc nous sommes coutumiers. Le film pêche un peu avec quelques instants laids ou trop appuyés (le passage des croix sur le bas coté, cette répétition des éclairs moches) et aussi par l'exagération de son propos : on est dans un film sombre, cependant certains diront qu'il va sans doute trop loin, non pas dans la violence mais plutôt dans la manière utilisée pour l'amener et dans le propos, dans son attache au réalisme, dans cette enfoncée méthodique du spectateur dans le fétide.
Killer Joe ne mâche pas ses mots, il préfère en étant tout le temps virtuellement présent (dans nos esprits) tenter de manipuler les cordes classiques qui nous sont présentées, un professionnel on vous dit.