Le grand retour du réalisateur William Friedkin se fait avec Killer Joe. Il faut dire que le bonhomme ne s’est jamais démarqué hormis sur deux fulgurances qu’il a signé coup sur coup : French Connection et L’Exorciste.
En adaptant la pièce de théâtre éponyme de 1991 et signé par son compère sur Bug, Tracy Letts. William Friedkin s’enhardit grâce à un script de base délicieux. En suivant la destinée d’un jeune texan dans la mouise totale, on découvre un milieu rarement montré au cinéma et encore moins de cette manière car il ne s’agit point de héros ici, seulement de ploucs – un peu à la manière d’Affreux, sales et méchants d’Ettore Scola – qui s’adjoignent les services d’un tueur professionnel, le fameux Killer Joe.
Alors qu’on s’attendait à ce que ce soit Matthew McConaughey qui monopolise l’attention du spectateur tout le long, c’est un autre acteur ou plutôt une actrice qui s’en charge. Juno Temple est tout simplement digne d’une sirène, attirant votre regard à l’aide de son joli visage (bien calé entre ses beaux cheveux) et son jeu, si vous commencez à poser votre regard dessus, vous n’arriverez plus jamais à vous en détacher. Comme face une sirène, on ne sait jamais vraiment sur quel pied danser avec Dottie, le personnage de Juno Temple, est-elle folle ou incroyablement lucide ? Quoi qu’il en soit, elle demeure l’attraction du film. La voir reproduire les mouvements de combattants d’un film de Kung-Fu qu’elle visionne à la télévision est assez hypnotisant. On comprend alors mieux la volonté de Joe d’en vouloir faire son amante. Incroyable performance de l’actrice qui ne faiblit jamais sans compter que William Friedkin qui s’en sert pour une scène qu’on croirait sortie de L’Exorciste, une séquence où l’inceste chuchote.
Avant de s’attaquer Matthew McConaughey, signalons la crudité du film. Les tabous sautent dans tous les sens rappelant qu’on est dans un film du réalisateur qui avait traumatisé une génération avec son L’Exorciste. Il ne fallait vraiment pas avoir un problème avec la nudité pour les actrices tant elles sont montrées sous toutes les contours. Sans oublier des scènes incroyablement tendues et très connotées sexuellement, une scène de « viol » et une incroyable pipe forcée (seulement interdit aux moins de 12 ans?). On franchit un nouveau palier et la grande surprise est de voir l’acteur lisse Matthew McConaughey s’y coller.
Si sa performance globale est plutôt réussi, il souffre néanmoins de la comparaison avec Juno Temple du moins jusqu’au quart d’heure final où la folie de Joe explose. Matthew McConaughey devient alors monstrueux et se laisser aller dans les pires extrémités du sadisme sexuel. Une performance complètement folle pour un final complètement fou dont on en ressort soufflé par une tension à en pisser dans son pantalon (fallait pas avoir envie).
Le reste du casting demeure moindre surtout dû aux limites de leurs personnages, légèrement stéréotypés mais cela ne veut pas dire qu’ils sont inintéressants. Ils sont surtout un reflet d’une société pourrie où le Moi prime sur tout. Nul n’aura son heure de gloire, tout le monde aura son quart d’heure de honte et d’humiliation. Thomas Haden Church est assez hallucinant tant son personnage est écrasé par son entourage et l’étude de son comportement dans le final ferait le bonheur des psy en herbe. Difficile de croire qu’un tel acteur ait accepté de mettre son ego de côté pour ce personnage. Gina Gershon incarne la salope typique mais sa séquence dans le quart d’heure final est complètement folle. Le personnage d’Emile Hirsch, le héros, ne vaut pas mieux mais je n’en dis pas plus juste que la surprise est grande.
La réalisation est maîtrisée, la caméra se faisant oublier devant les évènements (toujours un élément essentiel quand on adapte une pièce de théâtre étant donné que dans ce domaine, le jeu d’acteur prime sur tout) sans oublier d’offrir quelques belles images. Malheureusement un gros bémol est à signaler. Lors du passage à tabac de Chris (Emile Hirsch), on est choqué par la chorégraphie digne d’un combat simulé d’écoliers. Les coups sont portés à une distance trop grande, les personnages ne réagissent pas correctement, une séquence qui a failli plomber le film alors qu’il offrait jusque là une maîtrise exemplaire du jeu du chat et de la souris. Ce problème est probablement dû à la volonté du réalisateur de ne faire que deux prises pour chaque scène, un effort louable quand il s’agit de scènes intimistes permettant aux acteurs d’aller jusqu’au bout le plus rapidement possible – Marilyn Monroe n’aurait pas pu – mais quand il s’agit des chorégraphies, c’est tout de suite moins pertinent.
Killer Joe n’est pas non plus dénué d’humour toutefois on verse davantage dans l’humour noir mais devant ce théâtre de marionnettes où chacun tente de contrôler son destin, difficile de ne pas rire (pourtant je ne suis pas trop fan de cet humour). William Friedkin pousse le vice encore plus loin en comparant son film à un Cendrillon moderne où Killer Joe serait le prince. Une réflexion pas si malavisée…
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