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Mais qui a dit que les réalisateurs s'assagissaient avec le temps? Des cinéastes comme Martin Scorsese avec son dernier bébé Hugo Cabret et Clint Eastwood avec la guimauve Invictus (pas vu ses deux derniers films mais honnêtement, ça ne me branche pas...) nous ont montré qu'ils pouvaient rencontrer des signes d'essoufflement avec l'âge, bien qu'Hugo Cabret soit très sympathique. Mais William Friedkin, lui, n'a pas décidé de devenir un vieux gâteux, ou du moins pas maintenant. Papy fait de la résistance et a encore de la ressource à 77 ans pour réussir à nous surprendre avec cet incroyable Killer Joe sorti en salles le 5 septembre. Le célèbre réalisateur des non moins célèbres The French Connection et l'Exorciste revient, 6 ans après son dernier film Bug. Un come-back fracassant!



Chris, petit dealer minable, doit à tout prix trouver 6000$ sous peine de bouffer les pissenlits par la racine. Pour toucher cet argent, il va décider de faire appel à un tueur professionnel, Joe Cooper a.k.a Killer Joe, afin de toucher l'assurance-vie de sa mère en l'assassinant. Dit comme ça on pourrait s'attendre à un petit thriller amoral comme on en voit de temps à autre. Mais non, ce n'est pas le cas, Killer Joe va loin, beaucoup plus loin...
En fait c'est bien simple, il ne faut pas s'attendre à un film banal. Les premières minutes donnent déjà le ton, ce sera cru et malsain. Et drôle. Oui drôle, car Killer Joe est un film bourré d'humour, de l'humour noir certes mais qu'est-ce que ça fait plaisir de voir ça au cinéma de nos jours! Papy Friedkin arrive à rendre son film jouissif de bout en bout grâce à ce subtil mélange entre humour, tension et violence.

J'ai trouvé que le traitement des personnages était vraiment énorme. Le cinéaste cible une certaine catégorie de personnes: les losers. Les beaufs. Les ploucs. La belle Amérique profonde comme on la voit si peu. La famille de Chris est une incroyable bande de péquenots dont on prend un malin plaisir à suivre l'évolution progressive dans les emmerdes les plus profondes.
Les tabous sautent, Friedkin ose. Nudité, sexe, inceste voire pédophilie sont ici abordés sans fard ni pudeur. Il y a par moments une incroyable tension sexuelle qui rôde et qui arrive à rendre certaines scènes assez flippantes. Killer Joe brille par son inventivité et ses portraits de personnages qui, bien que parfois légèrement stéréotypés, ne sont jamais inintéressants et jamais mis de côté. Chacun a le droit à son quart d'heure de gloire. Enfin quand je dis "gloire" c'est plutôt ironique. Chacun a plutôt le droit à ses instants d'humiliation, tout le monde prend son tarif. Friedkin maltraîte ses personnages et qu'est-ce que c'est jubilatoire!



La mise en scène du cinéaste n'est pas en reste, on a le droit ici à une réalisation bien pensée et très soignée. La photographie du film est à tomber notamment, par instants seule l'image suffit à installer le malaise, le visuel est de qualité. Le rythme de film est plutôt lent mais ne tombe jamais dans un faux-rythme. Au contraire, grâce à une tension montant crescendo et la faculté du réalisateur à aller droit au but, jamais l'ennui ne s'installe.
La force de la réalisation réside aussi dans le non-dit et le hors-champ, le film peut paraître très violent (et il l'est) mais jamais ce n'est gratuit, c'est toujours au service du propos de l'oeuvre qui dresse un portrait peu flatteur et sans concessions d'une certaine couche sociale. L'importance du non-dit fait que certaines scènes nous éclatent littérallement à la gueule tant on ne s'y attend pas. C'est très brutal et monstrueusement bon. Grâce à un découpage exemplaire, Friedkin insufle un rythme redoutable d'efficacité et de précision, servant brillamment un scénario intelligent et bien mené.

Quant à l'interprétation elle est vraiment de haute qualité. Matthew McConaughey est génial dans son rôle de détective tueur à ses heures perdues. Un réel charisme, une présence troublante et un personnage énigmatique, son rôle est d'anthologie. Lui qui m'avait déjà beaucoup plu dans la bonne surprise Magic Mike sortie cet été, il m'a ici réellement impressionné.
Le talent d'une actrice éclate aussi au grand jour, celui de la jeune Juno Temple. Son regard envoûtant ainsi que son interprétation dynamique et peu évidente d'une fille complètement perturbée est magique. On croirait que ce personnage navigue sans cesse entre la réalité et le fantasme pur. Elle est pour moi le personnage le plus intriguant du film et le rôle-clé, comme le lien entre les autres personnages et l'élément qui impacte directement sur leurs relations et les diverses situations qui nous sont présentées à l'écran.

A leurs côtés, Emile Hirsch campe à merveille ce petit dealer minable qui s'enfonce toujours plus dans la mouise. L'expérimenté Thomas Haden Church trouve aussi ici un rôle d'anthologie, celui d'un père plouc dépassé par les évènements et écrasé par toutes les personnes qu'il cotoie. Sa compagne Gina Gershon est également une valeur sûre au casting et un personnage qu'on prendra plaisir à voir s'attirer des ennuis.

J'évoquais quelques lignes au-dessus le personnage de Temple apparaissant comme étant déconnectée de la réalité. Je dirais même que le film sème continuellement le doute, tout paraît incroyable, fou. Friedkin va vraiment loin mais rien n'est incompréhensible, disons que la surprise joue pour beaucoup. Le filmKiller Joe n'est jamais prévisible.
Les relations entre ces personnages déshumanisés sont tout aussi estomaquantes que drôles. On a la perpétuelle impression qu'ils sont totalement déshumanisés, qu'ils ne pensent qu'à leur petit intérêt personnel et semblent incapables du moindre sentiment positif pour les autres personnes, même les plus proches. Au fond, on a là un constat amer de l'être humain et de son égoïsme le plus misérable.



Je ne dévoilerais pas le dénouement de l'intrigue mais il me paraît très important de signaler que les dernières 20 minutes sont la preuve que ce film tient bel et bien du génie. On rentre à ce moment-là, à l'apogée de la tension, dans un tourbillon féroce, brutal et absurde. La fin de Killer Joe laisse une marque indélébile, ça prend aux tripes, c'est malsain, ça reste drôle grâce à un humour noir omniprésent et c'est inouï de violence. La scène du poulet me reste en mémoire personnellement, je n'ai rarement vu de séquence aussi malsaine au cinéma. Et c'est là que je me demande pourquoi le film est seulement interdit aux moins de 12 ans tant c'est cru et cruel.
Cette fin pleine de surprises est l'apothéose d'un film qui progressivement accumule les instants de génie pour mieux exploser à la fin. Papy Friedkin n'est pas gâteux, il n'a plus rien à prouver et il laisse libre cours à son génie artistique tout comme à son imagination. Aucune limite, aucun tabou, ce film détone!

Oeuvre intelligente, troublante, fascinante et d'une maîtrise hallucinante, Killer Joe marque ce début de décennie de manière tonitruante! Et après toutes ces rimes je ne peux que conseiller une chose: Foncez dans votre cinéma pour profiter d'un réel bijou comme on en voit assez peu. Bien entendu j'émets une certaine réserve car le film est très cru et inhabituel, il pourra en rebuter plus d'un et de toute manière c'est normal. C'est une oeuvre jusqu'au-boutiste qui ne recherche jamais le consensus et qui apparaît comme étant totalement libre. Cette liberté créative fait énormément plaisir d'ailleurs à l'heure où les oeuvres consensuelles et sans âmes s'accumulent dans les salles obscures.
Une pincée de Coen, de Lynch et de Refn rajoutée à une bonne grosse dose du Friedkin habituel. Killer Joe est la grande surprise de cet automne grâce à son audace et à sa mise en scène de génie. On pourrait même établir un parallèle avec Lolita dans la relation McConaughey-Temple. Même si il y a quelques ressemblances, le film reste purement original et sa folie fait vraiment plaisir à voir. Du grand cinéma comme j'aimerais en voir davantage et une bonne petite claque, Killer Joe est un film qui marquera les esprits.

Créée

le 17 sept. 2012

Critique lue 509 fois

6 j'aime

Moorhuhn

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