Personnage poisseux d’assassin manipulateur de rednecks, McConaughey se fait l’incarnation d’un certain cinéma américain contemporain. Ce macho truculuent servira de fondation esthétique pour tout ses grands rôles à suivre, de sa presta Oscrisée dans Dallas Buyers Club a son personnage de misanthrope halluciné dans True Détective. Au départ, le rôle devait revenir à Kurt Russel, fraîchement ressuscité par le succès de Death Proof. Un rôle degueulasse, StuntMan Mike, dans l’ultime divertissement purement Tarantinien avant la maturité des 2010s : juste hardcore et régressif. Pourtant pas effrayé de camper un psychopathe qui assouvissit sa libido de quinqua ringard en crashant des autostoppeuses dans son tableau de bord, Goldie Hawn - sa femme, dissuadera Kurt d’accepter le projet tellement c’est du sale. Et Jennifer Lawrence aussi se désengagera du projet, à cause des scene de full frontal (a poil quoi). C’est vous dire.
Film noir, pluie, chien qui aboit, intrigue simpliste : le prétexte piégeux est une arnaque à l’assurance foireuse orga par des narvalos largués qui doivent du blé au mafieux local. Jusque la, la formule est classique : plan qui tourne mal, trahison, paranoïa, et vengeance punitive. Mais le génie ici c’est le lent dérapage, progressif, entre l’image et la descente aux enfers abusive. D’un neo réalisme hyper sérieux à la Fincher, on s’installe confortablement dans le pur genre soigné facon Se7en, mais le script bascule dans l’over ridicule, gore et jouissif, en dépassant généreusement l’ordre du tolérable selon les codes Hollywoodiens, ici Friedkin chevauche un cheval de Troie freudien qu’on regarde se cabrer et nous mettre le cul par terre.
En réalité portrait de l’Amérique acculturée et bestiale, enfant d’un libéralisme ou le laissé pour compte est juste un revers du self made man, ou tout se prend et ou tout le monde est québlo dans une logique de winners ou de losers. Et dans ce monde en noir blanc, la bêtise lâche va s’écraser contre un sadisme impitoyable.
Au delà de son ambiance de trailerpark texan minable, ce petit film deglingué mais maitrisé se transforme en satyre sans prévenir. Plus qu’un fait divers obscène, ici Pasolini enfile son stetson et va nous faire comparaître au procès du cinéma lui-même. Art pervers par excellence, voyeurisme border porno toléré par la société : Friedkin fait son Fenêtre sur cour et travail l’ambiguite Hitchkockienne de l’écran et de l’inconscient, dans ce jeu complexe ou nous cherchons la pulsion par procuration. Le réal exige ici qu’on prenne position. En étalant le paradoxe de notre innocence consumériste, il interroge notre responsabilité paradoxale, impensée, en coulisse, de spectateur.ices clients. Société occidentale où dieu est mort et tout est permit, pour le résumer avec Dostoievski, où ce qui reste d’humanisme n’est plus tenu que par une seule loi, la loi du marché. Ou bien, si vous me pardonnez cette paraphrase psy de série B, ce que ce bon vieux Judge Dredd reac répliquerait s’il avait mangé par erreur un livre de Jung : la loi du Moi. Temps de cerveau dispo ou catharsis compulsive?
Quelle dignité reste pour l’amoureux des films dans le jeu sans issue de l’offre et de la demande ? Surtout pas de réponse, c’est pour ça qu’on adore le cinéma.
Mirroir mon beau mirroir, la réflexion d’un Hollywood devenu machine faire du fric, qui ne capitalise plus que sur le sexe et la violence, hypnose hypocrite du cinéma commercial, sa mécanique idiote : Friedkin ne se contente pas de gloser sur ce cycle infini du refoulement/défoulement, sysiphe inconscient tournant à vide en chacun.e, le film s’amuse à nous faire contempler en bon complice que nous sommes un les témoins de notre propre position obscène en temps réel. Pas intello du tout, l’adaptation de cette pièce de Tracy Leitts nous scotch devant la parodie malaisante de cet entertainment pervers. Une histoire de l’œil bourrine et peu bavarde interroge donc notre besoin, d’autant que la quantité de nanards ultra violent dans le genre est vertigineuse. C’est cette soif pour l’ancestral pestac de la mise à mort des gladiateurs qui garantit encore et toujours succès auprès des masses, même les puritaines. L’amerique WASP enorgueillie de ses valeurs morales en raffole, bref « c’est pas gentil d’être méchant » c’est surtout à la messe le dimanche matin, mais au cinéma ça va.
Un petit ovni culte méconnu donc, qui emprunte aux frères Cohen leur absurdité signature. Derrière le premier degré, c’est une farce tragique où des humains trop humains megalos, qui ont trop vu de films, sont incapables de réaliser qu’ils n’ont pas les capacités qu’ils s’imaginent, incapables de mener à bien le plan à moitié mijoté et ainsi condamnés d’avance. Déterminisme social ou médiocrité congénitale, on ne tranchera pas, on ne peut que se moquer de ces personnages venus d’un bouquin de Zola, pauvres prolos abandonnés de l’Amérique conservatrice ou le happy end du roman national, celui de la poursuite du bonheur, n’existe que sur le papier de la constitution et les écrans de ciné, comme une bonne carotte à ouvriers qui attendent encore le paradis perdu, celui d’une société du mérite.
Cette famille de galériens sympathiques souffre donc d’ultracrepandarianisme : ce mal de fin de civilisation décadente, déjà représenté en 2006 dans le dystopique Idiocracy (de l’auteur de Beavis and Butthead, triomphe de la régression annoncée et animée des 90s « huhuhu »). D’après Wikipedia, l’ultracrep’ est un biais congnitif selon lequel plus on est stupide moins on réalise l’étendue de sa stupidité. Voilà. Autrement dit un con ça ose tout, que même c’est à ça qu’on les r’connaît c’est bien connu, pour paraphraser Audiard qui a pas eu besoin de faire un M2 à Jussieu pour qualifier le phénomène, qu’on pourrait aussi traduire par un mot moins imprononçable et plus proche de notre époque : trumpiste (le retour en 2025 aux présidentielles a priori, yes they can).
A l’instar de Walter l’ex-militaire PTSD pour qui la guerre du Vietnamne s’est jamais terminée, soldat dédié à faire merder malgré lui la moindre situation en se prenant pour un commando seul capable d’entrevoir des conspis qui n’existent que dans sa tête, James bond imaginaire avec sa coupe en brosse des allées de bowling dans The big Lebowski, la famille de Redneck va se prendre la réalité de plein fouet lorsqu’elle vont embaucher un beau hitman charismatique tout de noir vêtu, pour disons « accélérer » leurs démarches administratives et empocher l’assurance vie d’un de leur membre (no divulgachis). L’agent du chaos une fois lâché dans la nature deviendra un funeste rouleau compresseur qu’on n’arrêtera plus. Comme le dentifrice qu’on ne peut plus faire rentrer dans son tube, une absurde machination de Sophocle, figure mythique du nihiliste irrationnel, tel un Joker ou un Anton Chigurh (Javier Bardem) dans No country for old men, dont la vengeance aveugle va se retourner contre ses commanditaires dans cas classique de créature de Frankeinstein, mais au milieu des caravanes texanes.
Les meurtriers aux mains propres qui auraient mieux fait de pas déléguer leur machination morbide, c’est un peu nous, a attendre que ça se déroule bien mal avec délectation, les doigts de pieds en éventails bien calés dans nos canaps : farce à la Fargo ou l’arroseur arrosé fini comme le spectateur.ice, consommant un film divertissant de plus « qui prend pas la tête ». Finir finalement étouffé dans le gras par le fast food bien gras qu’il a commandé, le cerveau bien vidé et satisfait. De temps en temps ça fait du bien.
Un cercle vicieux, qui s’autoparodie dans une ambiance sudiste nourrie du cynisme sudiste d’Harold Pinter, au goût amer de rêve américain, cette série B qui ne se prend pas au sérieux est à servir lors d’une bonne soirée bière pizza entre potes surtout pour son troisième acte.
Une des affiches alternative de Killer Joe est d’ailleurs explicite : elle représente un morceau de Kentucky Fried Chicken en forme d’état du Texas, à l’image du savoureux final du film.
On ne verra plus un manchon de poulet comme avant.