Entre crasse et classe, fantasia chez les bouseux

Avec les premières images, dès l'attaque sur le clavier, on a compris.
A l'extérieur, un homme (le fils, Emile Hirsch), court sous la pluie battante, fait et refait le tour d'une sorte de mobil home crasseux, tambourine en vain sur la porte et sur la tôle des murs, dans un paysage de bouillasse, accompagné par les hurlements d'un molosse enchaîné. Excellent leitmotiv comique d'ailleurs, que les retours récurrents sur ce chien, toujours attaché, toujours gueulant et parfaitement inutile.
A l'intérieur, des restes de bouffe, des objets divers qui jonchent le sol, des pieds qui sortent de couvertures sales, des bruits de télé, un cloaque.
Après quelques minutes, on se retrouve nez à nez (même si les organes ne correspondent pas tout à fait) avec la touffe de la belle-mère (Gina Gershon).
"On", c'est évidemment le fils détrempé, mais c'est aussi le spectateur. Nous.

On a compris. On va frayer avec l'excessif et le glauque.

Danger - si l'on aborde le film sous cet angle-là, on risque de gâcher son plaisir au nom de la pudibonderie, évidemment masquée sous les alibis intellectuels et psychologiques habituels ; l'absence d'enjeux, de profondeur, d'empathie avec les personnages etc.
Alors, pourquoi pas, prendre le parti inverse, on ne risque rien - se dire que l'on a affaire à une comédie, sûrement excessive, crade certes, mais peut-être aussi très classieuse. Et peut-être à ce moment-là que le second degré (certes pas celui de l'empathie avec les personnages etc.) viendra avec l'humour. Car l'humour, l'humour noir surtout, voire l'humour bête et méchant, quand il est pratiqué avec brillance et intelligence (non, aucune contradiction malgré les termes), est évidemment porteur de second degré. Et même de réalisme. Mais cela vient toujours après - après le plaisir.

Donc, un film outrancier, crasseux et classieux,

AVEC ...

avec une intrigue certes très sommaire, cousue de fils noirs et vite résumée : une arnaque familiale à l'assurance-vie, un meurtre avec tueur à gages perfectionniste, avec psychopathe donc, un gang mafieux (mais là il s'agit d'une fausse piste), un twist final (mais pas plus important que ça) et beaucoup de sang; mais avec des dialogues très élaborés, ciselés, gourmands (c'est aussi un film sur la gastronomie),

avec une vraie mise en scène, assurée par un grand professionnel ; il ne s'agit pas de théâtre filmé même si le film adapte une pièce de théâtre. D'abord la caméra s'échappe souvent de la pièce centrale, entre pizzeria, poursuite à motos, perspectives de fuite (évidemment vaines) sur la voie ferrée puis en voiture, voiture qui explose, voiture jaune ... L'auteur / scénariste et le réalisateur agissent en symbiose. Et cela donne un très beau travail sur l'image, des options aussi simples qu'efficaces (les travellings à l'intérieur du mobil home, dans un capharnaüm indescriptible, déjà évoqués ou les gros plans sur les ustensiles du policier tueur, qui tiennent autant du SM que du respect de l'ordre), et surtout un montage magistral, très dynamique, entre temps de pause toujours sous extrême tension et accélérations irrésistibles,

avec une narration et une ambiance bien glauques, entre violence et sexe, sexe et violence, et bêtise crasse; avec succession de tabassages en règle ou pas en règle du tout, voyeurisme, sadisme, et presque inceste,

avec un crescendo imparable, du premier passage à tabac (déjà très violent) autour du gang mafieux au règlement de comptes (au sens premier) dans la caravane familiale, avant un incroyable repas "festif" de fiançailles, débouchant à nouveau sur le pandémonium final et inachevé. Au reste, à ce moment-là, la fille (Juno Temple) ne fait que leur faire ce qui tourne dans la tête de tout spectateur lambda. Fin imparable,
et après pareille démonstration gastronomique, on hésitera avant de commander au McDo du coin une cuisse, une aile ou même un pilon de poulet, avec ou sans chapelure,

avec une interprétation remarquable - mais pour que les comédiens soient bons, il faut aussi qu'ils aient de vrais rôles à défendre. Tous sont excellents ; la fils, tête à claques, et de fait il s'en prend beaucoup, des claques, plein de contradictions (Emile Hirsch), la belle-mère (Gina Gershon), nymphomane et sournoise (mais stop, danger spoil), et plus encore le père (Thomas Haden Church), totalement décérébré, électro-encéphalogramme très plat, aux réactions toujours très décalées dans le temps, voire absentes, dans les moments les plus tragiques ou les plus grotesques (la scène irrésistible de la manche de la veste face au notaire) et la fille (Juno Temple, remarquable), à la fois débile et (extra) lucide, génialement lunaire.
Pour interpréter son personnage improbable et très décalé de psychopathe, Matthew McConaughey a choisi l'option Marlon Brando. Dans le choix des vêtements déjà, tellement sophistiqués (stetson, ray-bans, veste et gants en cuir noir, santiags toujours brillantes) qu'ils en deviennent presque plus vulgaires que les haillons de ses commanditaires. La diction est à l'avenant - lente, sur-travaillée, posée et finalement glaçante. Au début, on peut croire à une représentation parodique, grotesque du tueur à gages. Mais non.

On lorgne évidemment vers les frères Coen; vers l'arnaque familiale et foireuse montée par les truands de Fargo, débiles mais très dangereux, ou vers le psychopathe insensé, qui veut toujours aller au bout de ses contrats, de Sang pour sang. Mais en plus épais, en plus gras. En énorme.
Jubilatoire.

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le 5 août 2013

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