C'est un rêve de longue date que réalise ici le cinéaste de 80 ans avec pour la première fois de sa carrière la mise en chantier d'un western, genre cinématographique américain par excellence , mais comme le créateur iconoclaste des Affranchis ne fait rien comme les autres, il choisi de s'éloigner des archétypes du genre en construisant un énorme film dossier tout en utilisant les apparats moins conventionnels du western crépusculaire et contemporain popularisés par les films de Peckinpah et Don Siegel, un phénomène typique du nouvel Hollywood (dont Scorsese fut l'un des plus grand représentant) au carrefour des genres entre violence exacerbée et enjeux politiques complexes, tout y insufflant une sorte de classisisme plus académique dans sa mise en scène, comme pour signifier une mise a distance avec un sujet particulièrement délicat, celui d'un secret de Polichinelle bien trop longtemps laissé de côté par l'histoire ,le massacre des tribus Osages pour obtenir la propriété des champs de pétrole de l'Oklahoma.
Malgré un récit fleuve de 3h26, scorsese n'oublie jamais de parler de cinéma ,en introduisant le film avec le jaillissement presque fantastique d'un Geyser de pétrole précédé d'une cérémonie indienne, suivit par un montage de photos ( ou procédé photochimique) nous expliquant la situation socio-économique des Osages, Scorsese créé un contraste, une dichotomie visuelle et narrative entre spiritualité et matérialisme ,un questionnement presque subliminal et alchimique sur la transformation de la matière brute en une idée de cinéma, créant une passerelle audiovisuelle et philosophique, un pont entre les origines magiques et scéniques des arts du spectacle, et les premiers balbutiements du cinématographe, convocant les fantômes du Nickelodeon et autres ombres de la lanterne magique, tel l'enchaînement des diapositives et l'idée même de persistance rétinienne , pour ensuite enchaîner de manière plus organique et évidente avec la fameuse arrivé du Train ( en gare de la Ciotat) train qui délivrera au spectateur le personnage principal de l'intrigue, qui , comme poussé par une sorte d'énergie cinétique, tel le défilement automatique de la pellicule ,ouvrira les cadres du cinémascope, sur un territoire allégorique , dans un plan aérien ou zénithal sur les immenses domaines agricoles du personnage de De Niro, comme Dorothy qui en son temps donnait naissance aux images en technicolor du Magicien d'Oz(1938), oeuvre matricielle dans la filmographie de Scorsese depuis le séminal Bertha Boxcar (1972) .
Le prologue se terminera par l'arrivée de Ernest devant la demeure de son oncle rejouant le contre champ de l'arrivée de l'oncle Ethan/John Wayne dans l'ouverture de la prisonnière du désert (le classique de John Ford qui continu même après 70 ans de contaminer 80% du cinéma américain contemporain)une scène quasiment similaire chez Scorsese qui constitue une antithèse de celle de Ford dans laquelle le mal de ne provient plus des étendues désertiques du monde extérieur mais est déjà niché à l'intérieur même du sacro saint foyer familial, plus tard dans le film le plan Fordien du surcadrage de la porte d'entrée aura une autre signification quand le personnage de Ernest, attiré par le bruit de l'explosion d'une maison voisine, franchira le seuil de son foyer donnant sur un champ de ruine symbolisant le point de non retour pour Ernest, qui avec ce plan plonge littéralement dans le chaos des flammes de l'enfer .
Tout ce parcourt de mise en scène très opératique à travers l'histoire du cinéma sera vite mis à mal par un cut de montage brutal présentant le personnage de Deniro et DiCaprio dans un simple champ contre champ resserré et plus intimiste, désamorcant la grandiloquence de la première partie au profit d'un western en chambre plus sobre et épuré qui inscrit le film dans la lignée d'un autre grand film testamentaire de Ford , "l'homme qui tua liberté valence",à partir de la, le film deviendra un quasi huis clos jouant avec la plus grande intelligence des scènes de dialogues ,Scorsese ne cessera de travailler l'art du champ contre champ de toutes les manières possible, pour aboutir à quelques scènes de discussions parmi les plus marquantes de ces dernières années,sublimant toute l'ambiguïté d'un dernier regard entre Ernest et Mollie, ou encore la puissance de l'ultime face a face entre De Niro et DiCaprio rappelant presque celui de De Niro et Al Pacino dans Heat, ou les barreaux de prison viendront dessiner de manière subtile l'ombre d'une croix sur le visage d'un De Niro trahi par son fils spirituel.
le métrage glissera petit à petit vers un film de procès typiquement Scorsesien, autour des questionnements sur la délation ,(une obsession chez Scorsese depuis la vision du "Sur les quais" de Elia Kazan) une dernière partie plus procédurale, voir même Christique autour d'un triangle psychologique fascinant ou DeNiro devient le diable , a la fois rassurant mais perfide , DiCaprio, un Judas manipulé et Lily Gladstone un Jésus au féminin, véritable Martyre qui se laissera empoisonnée par compassion, crucifiée par amour .
L'archétype du Judas court a travers toute la filmo de Scorsese surtout dans ces derniers films, que ça soit le Frank Sheeran de the Irishman (tiraillé entre une autre représentation du Christ en la personne de Jimmy Hoffa, le saint patron des camionneurs et celle du démon incarné par Joe Pesci dans le rôle de Russel Bufalino ) ou celle du Kichijiro du film Silence , un personnage de lâche qui ne cessera de trahir le père Rodrigues mais qui paradoxalement restera son plus proche confident jusqu'à sa mort .