Robert De Niro et Leonardo DiCaprio, sous la direction de Martin Scorsese. Le réalisateur dirige enfin ses deux acteurs fétiches dans un seul et même film... Là, il ne fallait pas m'en jeter plus pour que Killers of the Flower Moon atterrisse direct dans le top du top de mes attentes cinés de l'année 2023. Autant dire que j'étais impatient de ouf de le voir, que j'avais des attentes de ouf...
Est-ce que ces dernières ont été comblées ? Euh... pour vous la faire courte, c'est un bon film, mais je suis un peu déçu.
Alors, ce long-métrage ne s'éloigne pas tant que cela des œuvres de mafia du Maître (il y a même une séquence de procès qui fait écho à celle des Affranchis ; on change juste le contexte, on remplace Ray Liotta par Leonardo DiCaprio, on garde Robert De Niro et voilà !), sauf que c'est bien pire, bien plus cynique, bien plus dérangeant. Au moins, la plupart du temps, les mafieux se descendent entre eux. Des ordures butent d'autres ordures. Là, il s'agit d'innocents Osages qui, au cours des années 1920, se font tuer, sous l'indifférence, voire la complicité des autorités de l'État d'Oklahoma, où se déroule la vaste tragédie, parce que leur terre est pétrolifère. Eh oui, de quel droit aurait-il, eux aussi, leur part de rêve américain... Et si certains se font abattre brutalement d'un coup de feu, d'autres méthodes sont nettement plus perverses, comme épouser une Amérindienne, la tuer à petit feu, pour ne pas attirer les soupçons, et empocher le pactole.
Ce qui est encore plus glaçant, c'est que les tueurs entreprennent leurs actes avec un complet détachement, comme si c'était la chose la plus naturelle, et même avec une forme de déni par rapport à l'horreur de ce qu'ils commettent. C'est pour cette raison qu'en dehors des meurtres eux-mêmes, rares sont les éclairs de violence ici, dans le sens de s'exprimer par la colère ou par des attitudes brutales.
Et, dans ce registre, les deux stars principales brillent. Le personnage de Robert De Niro (qui n'a qu'à apparaître pour imposer une autorité incontestable et être intimidant !) semble pétri de bienveillance et de gentillesse, alors qu'il est un être viscéralement diabolique, rendu inhumain par sa cupidité extrême. Le personnage de Leonardo DiCaprio, faible de caractère et lâche, se soumet à la volonté du premier et devient, de fait, lui aussi monstrueux. Ce n'est que (trop !) tardivement qu'il essaye de retrouver une dignité.
Alors, le mérite de la première moitié, c'est de s'intéresser aux Osages, de présenter certaines de leurs traditions et certaines de leurs croyances, de comment aussi une richesse soudaine a changé leur destin... pour le pire. En outre, cela donne lieu au plus beau personnage du film, incarné par la lumineuse, charismatique et talentueuse Lily Gladstone. Je vais revenir sur ce dernier et cette dernière plus tard.
Mais le problème de la première moitié, c'est qu'il s'éparpille dans trop de points de vue différents. Martin Scorsese n'a pas pu résister à la tentation compréhensible de profiter du sujet pour faire une véritable fresque, de mettre un maximum de pièces de mosaïque sur celle-ci, de vouloir étendre en multipliant le plus possible les personnages, en se perdant dans plusieurs sous-intrigues. Le tout y aurait gagné, en clarté et en efficacité, en se resserrant le plus possible sur certains protagonistes. Cela n'aurait en rien amenuisé l'horreur de ce qui est en train de se produire.
Il faut attendre que Jesse Plemons, en agent fédéral, sonne à la porte du pleutre, joué par DiCaprio, pour qu'un bon rythme se lance enfin, avec des enquêtes et des scènes judiciaires, que l'on resserre les points de vue. D'ailleurs, sur ce coup, un peu trop, je vais y revenir. Au passage, il y a deux petites séquences avec Brendan Fraser... oui, seulement deux, toutefois, au cours desquelles, non seulement, il fait l'entrée la plus tonitruante qui soit, mais, en plus, montre bien qu'il sait en imposer en peu de temps.
Oui, à propos du resserrage des points de vue, le tout se recentre nettement sur les caractères interprétés par De Niro et DiCaprio, mais néglige un peu trop celui de Gladstone (déjà bien occulté lors de la deuxième heure, pour être plus honnête et précis !). Et c'est dommage. Déjà parce que, comme je l'ai mentionné auparavant, la comédienne est talentueuse, elle est charismatique. Et elle en a suffisamment pour tenir la dragée haute à ses deux très prestigieux partenaires. Mais aussi, parce qu'il aurait été aussi bien de creuser le déni de son personnage (oui, lui aussi en a un !) par rapport à ce qu'est son indigne mari, qu'elle ne peut s'empêcher d'aimer, de voir beaucoup plus souvent comment elle réagit en ce qui concerne tout cela. Parce que, aussi, c'est le seul rayon de lumière dans un monde dans lequel règnent les ténèbres. C'est le cœur (dans tous les sens du terme !) du film. Ce que met, en plus, en avant la conclusion (racontant d'une façon originale, que je vous laisse découvrir, le destin des protagonistes après que l'action du film s'arrête... oui, c'est un biopic, j'ai oublié de le mentionner… !) lors de laquelle on peut voir Martin Scorsese lui-même. Pour résumer, je pense que ce personnage et l'excellente comédienne qui le joue sont regrettablement sous-employés.
Autrement, il y a encore quelques belles fulgurances techniques. Des plans-séquences soigneusement composés, de longs mouvements de caméra fluides. S'ils sont beaucoup plus rares que lors des grandes heures scorsesiennes, à 80 piges, le réalisateur prouve qu'il en a encore un peu à revendre.