Une cérémonie ancestrale des indiens Osage, les paroles proclamées par le sorcier dans l'abri d'une hutte résonnent comme les dernières bribes d'autarcie rituelle d'une tribu devenue nomade malgré elle devant la main mise toujours plus tentaculaire des vagues de colons européens. Soudain, c'est une cascade noire qui emporte tout sur son passage à l'écran, le pétrole coule à flots sur ces indiens en les faisant évoluer en propriétaires de certains des plus importants gisements d'Oklahoma sur leurs territoires et les propulsant de fait dans un monde moderne qu'il pensait à jamais fuir.
Élevés vers les cimes sociétales de l'Amérique de l'époque par cer afflux inattendu de billets verts face à des visages pâles décomposés qui tentent de faire bonne figure en les muselant par certains outils administratifs ou judiciaires, les Osage deviennent partie intégrante du décor d'un pays qui n'aime guère l'aspect cosmopolite que leur nouveau statut engendre.
Alors qu'un nombre croissant de membres éminents de cette caste succombent dans des circonstances troublantes, Ernest, un soldat revenu du front, devient le chauffeur attitré d'une indienne, Mollie, dont la richesse est justement au centre de toutes les attentions, en particulier de celle de son vieil oncle qui voit d'un très bon œil le rapprochement de son neveu avec cette Osage...
Enfin vu le gros morceau cinématographique délivré par Martin Scorsese en cette fin d'année 2023 qui revient, par l'intermédiaire du roman de David Grann, sur le cas bien réel de ces indiens Osage frappés de "mystérieuses" morts durant les années 1910-30, ce qui va amener l'ancêtre du FBI à intervenir sous l'impulsion de J. Edgar Hoover.
Avec ces indiens propulsés dans les hautes sphères et, évidemment, devenus la proie d'une avidité environnante encore plus noire que leurs champs pétrolifères, Scorsese trouve comme prévu un sujet original en or, événement concomitant au massacre de Tulsa de 1921 visant une communauté afro-américaine alors aussi en plein développement, et le traduit symboliquement au sein de son couple vedette, où la métaphore du venin blanc atteignant les Osage en vue de les éradiquer se matérialise sous la forme physique d'un Ernest devenu plus ou moins consciemment l'élément de propagation du poison ambiant auprès de sa bien-aimée. En plus de prendre le temps d'élaborer l'immense et passionnante toile des composantes de cette micro-société touchée semble-t-il par une possible mixité moderne avant l'heure, des doubles visages qui s'y cachent ou encore de victimes que le tir groupé de cette menace a pris pour cible dans le silence le plus confondant, Scorsese part de la lumière émanant de la sincérité de son couple pour en éteindre un à un les feux sur la durée via l'ombre implacable du drame qui habite Ernest, esprit naïf dévoré par ses pairs et, nourri par leurs invectives perfides, transformé en un monstre d'égoïsme incapable de voir la réalité en face.
Portée par le toujours impeccable Leonardo DiCaprio et l'impressionnante révélation Lily Gladstone, l'intimité rongée par les ténèbres du duo Ernest/Mollie devient ainsi aisément le reflet d'un climat plus général où tout paraît s'obscurcir dès que cette contre-façon de collectivité se dissout pour laisser place au pire de la nature humaine dans l'annihilation des membres de cette communauté isolés par leurs bourreaux.
Certes, en établissant une très grande mosaïque de la population locale afin de dévoiler la nuée des vils agissements qui y sévissent, "Killers of the Flower Moon" a peut-être tendance à trop s'étirer aux deux tiers de sa durée, insistant de plus en plus sur les stratagèmes grossiers qui vont permettre de briser le cycle meurtrier mis en place mais, dès que le personnage de Jesse Plemmons surgit pour bouleverser le récit et ses protagonistes, le film retrouve le chemin de ses sommets pour ne plus les quitter.
D'une conversation derrière des barreaux de prison prenant l'allure de l'exclamation de destins funestes d'une véritable tragédie grecque, en passant par des regards échangés entre le couple maudit où la vérité et les derniers faux-semblants se fissurent pour laisser place à la plus intense des émotions, jusqu'à cet incroyable épilogue, parfait détournement de l'appropriation de cette histoire par des voix extérieures au fil des décennies et se terminant sur une de celles qui a manifestement cherché à la comprendre au plus près, en y posant ses yeux et son âme pour essayer d'en communiquer l'essence oubliée au plus grand nombre, "Killers of the Flower Moon" s'achève sur une superbe série de coups de maître, avec la certitude que son objectif le plus manifeste est désormais accompli: la destinée de ces Osage ne sera pas oubliée tel qu'elle est ici partagée, au sein une fois de plus d'un très grand moment de cinéma signé Martin Scorsese.