Alors que Pauvres Créatures vient à peine de quitter les écrans, Yórgos Lánthimos propose déjà son nouvel opus, attestant d’une inspiration toujours débordante dans l’insolite et l’étrange. Le cinéaste semble même avoir eu du mal à trancher lorsqu’il a fallu déterminer quelle idée sélectionner, au point de proposer un assemblage de trois récits, à la manière d’une série anthologique. Les mêmes comédiens, dont la très fidèle Emma Stone, se retrouvent ainsi embarqués dans trois moyens métrages au sein d’une Amérique contemporaine et urbaine on ne peut plus banale, dans laquelle les individus vont insuffler toute la bizarrerie chère au réalisateur. Kinds of Kindness brasse en effet toutes ses thématiques de prédilection, des dérives sectaires à la perversion, en passant par l’emprise, l’aliénation et l’irruption de l’irrationnel dans le quotidien.
L’idée du film n’est pas inintéressante : elle permet aux comédiens d’explorer une palette plus large, exercice de style qui réussit particulièrement à Jesse Plemons, récompensé par ailleurs à Cannes pour sa performance. Elle renouvelle aussi les thématiques et permet de condenser les récits sur une densité assez efficace, à l’image du premier volet, expérimentation romanesque rappelant beaucoup l’univers de Paul Auster, conjuguant le besoin de récit à une métaphore sur la soumission dans le monde du travail.
Lánthimos garde sans conteste sa maîtrise lorsqu’il s’agit de faire vriller les destinées, associée à une mise en scène pervertissant l’imagerie américaine de la maîtrise et de la civilisation des espaces - les architectures luxueuses, le milieu urbain, le culte de la voiture pour chaque déplacement. Son regard, toujours ironique, traque les failles dans la civilisation et observe avec un certain sadisme les individus se diriger méticuleusement vers les gouffres. La comédie, surtout présente dans le deuxième segment, parvient aussi à relancer l’intérêt par l’audace (le mari esseulé demandant à ses amis de regarder des vidéos du temps de la présence de son épouse) et l’irruption de l’humour noir.
Mais en refusant de se concentrer sur un seul récit, Lánthimos révèle aussi les limites de son écriture, fondée sur une idée clinquante, et déclinable à l’infini dans un univers où l’on ne se refuse pas les bornes du réel. Si tout est possible, tout peut s’écrire ; si l’on ne sait pas trop comment conclure, on peut toujours passer à une nouvelle histoire. Le premier segment avait le potentiel d’un long métrage, le deuxième est une petite blague déjà un peu trop étirée, le troisième semble interminable, émoussant la patience du spectateur face à un total qui atteint tout de même 2h45. L’humour et l’insolite ressemblent alors des postures permettant de maquiller grossièrement les coutures d’un projet sympathique mais peu approfondi, séduisant mais éphémère, avec quelques idées à agiter, mais pas grand-chose à raconter.