King Kong de 76 c’est un mythe d’enfance, une grande aventure vécue à chaque fois avec une implication quasi religieuse. Vu et revu sur un fossile de télé encastré dans une étagère de vieux bouquins, à une époque remontant avant l’acquisition d’un magnétoscope, c’était le film qui transformait périodiquement le petit écran en trappe béante sur l’imaginaire.
Alors bien sûr le truc ne peut être bon que lorsqu’on lui fait grâce de toute comparaison avec son modèle dont il ne garde que peu de qualités dans sa forme comme dans son fond. Mais le film de Guillermin peut en revanche se mesurer à la version de l’autre là, Peter Jackson, celui qui, en 2005, s’auto-proclamait greatest fan du mythe, épaulé dans sa lancée par une foule sans objectivité adulant déjà le génie d’une carrière qui, à y réfléchir, reste particulièrement discutable. Mais peu importe, le barbu était le seul à pouvoir faire un hommage respectable au grand singe sur grand écran, ça, on en était tous convaincus. Et on buvait ses paroles. Et on se persuadait que oui, vraiment, le film de Guillermin était vain, que dis-je, sacrilège, blasphématoire, honteux. Jackson avait entamé le procès et allait heureusement réparer l’affront avec son bon sens et sa passion inégalable. Et on effaçait nos beaux souvenirs, on reniait une enfance à errer sur Skull Island, on se mentait outrageusement pour le croire. J’ai revu le Kong de 76 et une chose est sûr, il ressemble pourtant plus à un modèle pour le film de Jackson qu’à un remake du film de Cooper et Schoedsack.
Bon y a pas de dinosaures. C’est un problème. On y admire tout juste un serpent géant qu’on pourrait assimiler à un titanoboa si on voulait trouver de la préhistoire là dedans, mais ça reste l’affaire de quelques secondes. M’enfin c’est peut-être un choix légitime en 76, là où la technique s’emploie aux costumes approximatifs qui n’ont ni la poésie de la stop-motion, ni les possibilités illimitées des CGI. Quand on y pense, le film aurait parfaitement pu tomber dans une débauche de latex grotesque comme les 70’s en verront d’autres (The Last Dinosaur, un chef d’oeuvre), mais ce n’est pas son propos. Ce Kong là, c’est une romance, avec tout le mauvais goût qu’on peut espérer d’une liaison entre une blonde en guenilles et un primate de 16 mètres dans les années 70, un film s’enfonçant dans la métaphore lourdement appuyée de l’acte sexuel, enrichie des gémissements lascifs d’une Jessica Lange - magnifique, née pour être King Kong girl - et des yeux globuleux d’un singe libidineux en pleine perversité. Bah oui y a pas de dinosaures, donc tout le temps sur l’île du Crâne, on le passe à construire du lien entre deux amoureux transis. C’est parfaitement ridicule, tout à fait, surtout tourné de cette façon, dans cette érotisme sauvage perdu entre One million years B.C. et une peinture de Frazetta, c’est prisonnier de son époque, et c’est la partie la plus drôle du film, assurément, certaines scènes confinant à la blague, mais on s'y fait pas trop mal.
Parce que le reste du métrage, c’est loin d’être mauvais. Ce film a une palanquée de qualités, à commencer par sa façon de raconter son monde perdu, de le déployer sous nos yeux rajeunis. De créer du mystère, de la terreur, une mythologie. Rappelons ce qu’est Kong, c’est l’illustration d’une espèce, l’homme, qui tente de tout capturer, de tout apprivoiser, de tout prendre dans la paume de sa main, et qui ne cesse de tout détruire, de tout démythifier, d’aplanir les reliefs des terres du fantastique. Et le Kong de 76, sans être un bon remake, sait prendre le temps de matérialiser son île, de la rendre tangible et passionnante et prend le temps de raconter une histoire sans jamais tomber dans le strict hommage exubérant en forme de jeu vidéo blindé aux monstres et aux effets spéciaux.
Cette île du Crâne se contente de peu. Un monde perdu filmé dans des décors naturels, chose tenant de la science fiction aujourd’hui. Un mur gigantesque, de terre et d’osier, sans fioritures ni effets de style vidéo-ludiques embarrassants (on se souvient comment Peter Jackson avait flingué le mur dans sa version, un désastre quand on sait à quel point c’est un personnage à part entière du mythe). Le primate est presque seul sur son île, magnifiquement conçu par un Rick Baker encore une fois porté par la grâce. Certainement un des plus beaux costumes de grosse bête jamais créé. Quelques décors en carton et de la brume nocturne un peu partout. Un Jeff Bridges en bon chevelu scientifique écolo. Et une Jessica Lange faite pour se lover dans la patte du géant.
Tout ça pour dire que j’adorais ce film. N’ayant pas encore découvert les joies du magnétoscope, l’oeuvre d’origine me restait encore inconnue, nettement moins diffusée sur Ciné Dimanche à l’époque que ce rejeton grandiloquent de ce cher Dino de Laurentiis. Mais ça me suffisait pas mal en c’temps là, et oui, j’adorais ce film.