Peau d'Ann
J'ai tout fait pour toi Ann. Tout. J'ai quitté mon pays, mes amis. Défoncé, arraché des gueules. Tu étais mienne. J'ai même fait le docile pour t'approcher encore une fois. Ce soir, sous la lune, je...
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le 5 avr. 2014
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Nous sommes au début des années 1930 et la plus importante crise économique que subissent les États-Unis fait travailler les méninges de tous les plus audacieux créateurs qui souhaitent sortir de ce mauvais pas. En ce sens, les responsables de la RKO cherchent à produire un projet qui pourrait faire revenir le public dans les salles. Et lorsque les deux aventuriers un peu dingues que sont Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack, explorateurs et cinéastes ayant jusqu'ici œuvré en Afrique, proposent au studio un sujet original inspiré par les récits de Douglas Burden et mettant en scène un gorille géant, la RKO se voit vaguement intéressé mais propose néanmoins à Cooper le poste de producteur exécutif. Cooper accepte à la seule condition de réaliser son film de gorille.
Le célèbre romancier Edgar Wallace rédige alors un premier script qui se voit étroitement corrigé par le scénariste James A. Creelman. Le résultat ne convainc guère Cooper qui se tourne vers Ruth Rose, épouse de Schoedsack. Pour dresser le portrait psychologique de ses personnages, la jeune scénariste utilise les traits de caractère de Cooper pour celui de Carl Denham, ceux de son mari pour celui de Jack Driscoll et les siens pour celui de Ann Darrow. Certaines répliques du film proviennent même de conversations privées, appuyant ainsi l'effet biographique de ce trio habitué à travailler ensemble. Souhaitant mettre en évidence une allégorie de la nature violée par les hommes lors du second acte du projet, Ruth Rose s'inspire du final du Monde Perdu, mis en scène 8 ans plus tôt par Harry O. Hoyt, pour mieux concrétiser le cauchemar de la crise symbolisée par un animal sauvage qui se verra abattu, dans le troisième acte, au pied de l'emblème le plus universel : l'Empire State Building. Une bête vaincue par une sorte de complément qui, lui, se voit inspiré par le conte-type La Belle Et La Bête, dont les origines remontent au IIe siècle. La Belle, métamorphosée ici en pauvre fille des rues et voleuse de pommes, dont le destin exemplaire va l'élever au rang de vedette, modèle sociétal qui prouve aisément que l'on peut encore s'en sortir malgré le fléau de la crise.
Le fond séduit immanquablement la RKO, au bord de la faillite, qui investit ses derniers milliers de dollars dans le projet. Les prestigieux décors de King Kong servent également à produire Les Chasses Du Comte Zaroff, tourné simultanément par la même équipe et offrant ainsi à Fay Wray les deux plus beaux rôles de sa carrière. Et si Cooper et Schoedsack ne visaient qu'une attraction foraine de grand style avec King Kong, c'est la combinaison de diverses personnalités artistiques qui vont influer une magie et une poésie extrêmement rares au résultat final. De Willis H. O'Brien qui supervisa les effets spéciaux à Max Steiner qui révolutionna la musique de film, en passant par Murray Spivack aux effets sonores inédits et Marcel Delgado qui finalisa le fabuleux design des créatures, l'équipe expérimente, invente et s'amuse à bouleverser les codes traditionnels du cinéma. En 1933, ce qui apparaît à l'écran est du jamais vu et le succès est considérable. Malgré la crise, des millions de personnes achètent un billet pour visionner un spectacle aussi innovant que révolutionnaire. La parabole voulue par Ruth Rose touche en plein cœur un public avide de changement sociétal...
90 ans plus tard, malgré le nombre incalculable de remakes, reboots et autres crossovers bardés d'effets numériques à ne plus savoir quoi en faire, le King Kong original reste toujours et encore inégalé grâce à l'alchimie des artistes impliqués et sa candeur enfantine. Car malgré son érotisme, sa violence, sa cruauté et sa sauvagerie, l'œuvre reste classée dans la prestigieuse liste du très sérieux British Film Institute des 50 films à voir avant d'avoir 14 ans aux côtés, entre autres, de Fucking Åmål et du Voyage de Chihiro.
Première "scream queen" de l'Histoire du cinéma, Fay Wray n'est rien moins qu'une indétrônable icône pour les adeptes du cinéma fantastique malgré son jeu (très) limité. Son innocence transfigurée en sex-symbol absolu entre les mains de la Bête n'a jamais pu être équipollée par les performances de Jessica Lange ou de Naomi Watts dans le futur. Fay, à l'image de ce Kong animé en stop-motion, reste ainsi immortelle, sublime et inoubliable. En un mot, mythique.
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le 23 juil. 2024
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