Remarquable reconstitution historique à voir absolument dans la version longue pour mieux comprendre le récit. Pour commencer il faut mentionner ce qui relève de l'Histoire et ce qui relève de l'artifice, car les deux sont imbriqués comme le sable et le ciment dans le béton. Le roi lépreux, le fin politique Baudouin IV, a réellement existé, de même que sa sœur Sybille la mère du petit Baudouinet. Saladin le kurde (Selahedînê Eyûbî), stratège hors-pair, était réellement, d'après les historiens, respectueux des codes d'honneur de la chevalerie. Malheureusement, dans les rangs des croisés comme dans ceux des musulmans, certains ne rêvaient que d'en découdre, tel Renaud de Châtillon, dont la représentation semble conforme à la vérité historique et qui, en rompant la trêve, a précipité la chute de Jérusalem. Le grand spectacle, les scènes de bataille époustouflantes, les centaines de figurants du siège de Jérusalem ne masquent pas la volonté de montrer impartialement les adversaires, chrétiens et musulmans, ce qui bien sûr a déplu aux extrémistes des deux bords. Il ne faut pas voir ailleurs l'échec commercial du film aux States, deux ans après la guerre d'Irak.
Il reste pourtant des inexactitudes historiques et psychologiques. Rien ne prouve que Balian d'Ibelin, dont on sait peu de choses, était une sorte de demi-dieu omniscient et omnipotent partageant une étrange ressemblance physique avec un elfe. Et le début du film, même en VL, est abracadabrantesque. Qui a vu au Moyen-Age le fils d'un chevalier qui se retrouve simple forgeron dans un village, et puis ce même forgeron qui devient chevalier d'une simple claque sur la tête ?
L'amitié de Balian avec Imad, un esclave Sarrasin, qui se révélera plus tard être le principal conseiller militaire de Saladin relève de la même fable pour foule sentimentale. On voit ensuite Balian conseillé par Tibérias, personnage totalement fictif qui semble être copié sur Raymond III de Tripoli, de la famille des comtes de Toulouse, mais pourquoi avoir mis un personnage de fiction au milieu des autres. Surtout Ridley Scott ne peut éviter un manichéisme peu subtil dans le traitement des « méchants » . Si Renaud de Châtillon était indéniablement violent et cruel, le patriarche Héraclius, loin d'être un lâche, est celui qui a conseillé à Balian de se rendre pour épargner la vie des habitants de Jérusalem qui auraient été massacrés sans son intervention. Guy de Lusignan n'était pas le méchant montré dans le film. En fait il était de caractère influençable et probablement bon époux puisque son épouse Sybille le sacrera elle-même roi. Ce personnage mérite un éclairage spécial. Après la croisade de Richard Cœur de Lion, Guy de Lusignan, originaire du Poitou, descendant de la fée Mélusine, deviendra roi de Chypre. Ses descendants deviendront rois de la Cilicie arménienne. Le dernier roi de Cilicie, et donc le descendant du dernier roi de Jérusalem, Léon VI de Lusignan, est enterré à la Basilique de Saint-Denis avec les rois de France.
En dépit des quelques restrictions faites plus haut Kingdom of Heaven (en director's cut) est un film somptueux, une épopée qui ravira autant les amateurs d'histoire que ceux d'heroic fantasy, un film d'autant plus indispensable que les films sur les croisades se font très rares en ce royaume.