- Aimez-vous les films d'espionnage ?
- Pour tout vous dire, je trouve ceux d'aujourd'hui trop sérieux, j'aime les intrigues compliquées et théâtrales.
- Un bon James Bond, il n'y a que ça de vrai !
Le ton est donné, Kingsman – Services secrets sera post-moderne ou ne sera pas ! Mais quoi de plus étonnant quand on sait que c'est Matthew Vaughn à la barre ? Ce même Matthew Vaughn qui a méta-filmé la fantasy dans Stardust et le film de super-héros dans Kick-Ass. Aujourd'hui, il s'attaque au film d'espionnage et le résultat tient en trois lettres : FUN !
Et pourtant, ça démarrait mal quand on lisait le comics dont est tiré le film, scénarisé par ce gros cynique hypocrite de Mark Millar et Matthew Vaughn lui-même. Un truc assez pourri, assez moche (le Dave Gibbons de Watchmen était loin) et assez con dans son traitement et ses intentions qui n'engageait pas vraiment pour l'adaptation. Pourtant, à l'alléchante bande-annonce, on commençait à se douter que le film n'en serait pas le copier-coller mais une ré-invention par son propre auteur.
Et c'est une bonne grosse claque qui nous arrive dans la gueule ! Kingsman, dans sa ré-exploitation des arcanes du genre est d'abord d'un respect et d'une déférence absolue. On sent le coeur vibrant pour les films d'espionnage à l'ancienne avec gadgets farfelus, grands méchants et repaire top-secret. Mais on est en 2014 et comme le sale gosse qu'il est, Vaughn détourne ces codes et injecte du second voire du huitième degré dans tous les passages obligés et les stéréotypes. Son scénario, classique (mais aussi rythmé, dense et en béton armé), n'est pas le moins avare en surprises, punchlines cinglantes et humour méta. Respectueux donc mais aussi audacieux lors de quelques scènes bien subversives et hilarantes où la blague malpolie et le politiquement incorrect prennent clairement leurs aises. Bref, à l'image de Kick-Ass, Kingsman s'impose en synthèse et anti-thèse d'un genre fantasmatique du cinéma et se pose clairement les bonnes questions.
La direction artistique du film est également à saluer, mêlant swinging london, rétro-chic du spy film et culture urbaine en un tout cohérent qui a sacrément de la gueule. Les années 1960 confirment une nouvelle fois (après X-men – Le Commencement) qu'elles réussissent très bien à son réalisateur. Côté mise en scène, ce dernier continue d'ailleurs de se surpasser de film en film (Kingsman est donc son meilleur), si il s'attache moins à un certain statisme poseur (chose qui l'a toujours un peu desservi), il multiplie les accélérations formelles crâneuses et diablement efficaces. Sur le pur plan de l'action, Kingsman est ainsi un régal avec des bastons homériques, découpés et montés de main de maître pour en faire resurgir tout le dynamisme, exalter la grande classe de ses money shots et ralentis et sublimer l'ultra-violence débridée et comic-book du film.
A ce titre, soyez prévenus, c'est loin d'être un blockbuster pour minots et malgré le côté déréalisé de tout cela, je m'offusque un peu façon Familles de France (nos grands amis) qu'aucun avertissement n'y soit apposé. C'est James Bond certes mais à la sauce Tarantino bien trash !
Et putain ce que c'est bon ! Un enchaînement de morceaux de bravoures jouissifs, gorissimes et over the top dont le point culminant est sûrement le passage dans l'église qui n'a rien à envier au bodycount de Kill Bill. De loin la scène la plus folle vue dans un film d'action depuis un petit moment (bon courage pour la déloger). Je ne vous dis que ça : le mythique solo de Free Bird des Lynyrd Skynyrd y trouve une incarnation encore plus démentielle que dans The Devil's rejects.
Je passe sur un casting en or massif avec Colin Firth, Michael Caine et Mark Strong en agents so british qui tapent la classe absolue, le jeune Taron Egerton qui attache direct à son personnage de petit branleur londonien et surtout un Samuel L.Jackson dantesque en grand méchant geek sensible et au savoureux cheveu sur la gueule. Mais accordons-nous, la trouvaille ultime de ce film est le personnage de Gazelle joué par Sofia Boutella, une vénéneuse femme de main handicapée aux prothèses tranchantes et sautillantes.
Bref, je suis d'un enthousiasme assez profond sur ce film mais redescendons un peu : y'a t'il des ombres au tableau ? Oui, mais pas beaucoup. La plupart tiennent au fait que Kingsman est très conscient des effets qu'il produit et n'évite pas toujours la pose crâneuse ou le clin d'oeil trop appuyé. En ces moments, la tyrannie du cool le rattrape car à trop brosser le spectateur dans le sens du poil, il finit par s'en apercevoir et trouver cela quelque peu roublard. Et le film a suffisamment d'arguments pour ne pas tomber dans ce piège.
Un film de petit malin donc mais en ces temps où nos espoirs fondés dans les grosses machines sont systématiquement déçus ou vrillés, où la recherche du pur plaisir spectatoriel est vu comme une régression bref en ces temps de blockbusters chiants, sérieux et consensuels, Kingsman vaccine clairement et offre un morceau saignant de cinéma décomplexé, pop et jouissif.